vendredi 20 septembre 2024

LE DON DE LA PLUIE


( THE GIFT OF RAIN

traduit de l'anglais (Malaisie) par Philippe Giraudon

J'ai longtemps hésité entre ce roman et Le Jardin des brumes du soir du même auteur, Tan Twan Eng. Les deux présentaient des similitudes : romans historiques sur fond de guerre ou d'après-guerre, la Malaisie comme lieu d'action, un personnage japonais au rôle déterminant dans le lot, une relation de maître à élève avec un autre protagoniste, malaisien d'origine chinoise celui-là... Les deux semblaient tout aussi intéressants pour leur contexte historique, les personnages, les thématiques explorées... 

Au pif, en espérant avoir du nez, j'ai opté pour Le Don de la pluie. Il y avait une histoire d'aïkido qui me semblait de bon augure et me parlait un peu plus que celle du jardinier (quand bien même il a été celui de l'empereur). L'accroche sur le bandeau, annonçant un grand roman d'espionnage et d'initiation au coeur de Malaisie en guerre, était plutôt prometteuse. Là-dessus, je recadre tout de suite les choses. Certes, il y est question d'espionnage, on est en temps de guerre, mais on est bien loin de la tension et de l'action à la James Bond, Mission impossible & co. Pour le roman d'apprentissage, on est d'accord.:)

L'action débute en 1939 à Penang, en Malaisie, qui est alors sous domination anglaise et soumise à de fortes influences chinoises, indiennes et siamoises. Philip Hutton, d'origine anglo-chinoise, est un adolescent de 16 ans à l'époque. Un jour, il rencontre un diplomate japonais, Endo-san, à qui son père a loué la petite île en face de leur maison. Une étrange amitié se noue entre eux alors qu'Endo-san lui apprend l'art de l'aïkido et la langue japonaise. Cependant, la guerre menace et l'invasion des Japonais s'annonce inéluctable. Partagé entre son amitié et son devoir d'obéissance à son maître et sa loyauté envers sa famille et son pays, Philip se retrouve face à des dilemmes majeurs. À l'issue de la guerre, certains l'ont considéré comme un criminel de guerre qui s'est arrangé pour échapper à la justice, et d'autres, comme un héros. Qu'en est-il réellement ? Et quel a été le rôle d'Endo-san dans tout ça ? Leur amitié a-t-elle survécu à ces années d'occupation japonaise ?

Sur Goodreads, je l'ai noté d'un 3,5/5 étoiles qui avait démarré par un franc 5 étoiles dès les premières pages et sur un bon tiers du livre. J'avais été complètement conquise par la plume de l'auteur, une écriture simple mais précise et élégante, un brin poétique et apaisante, imagée, descriptive mais pas de façon pesante, par la mise en place progressive de l'intrigue, pleine de mystères aux premiers chapitres, par la découverte de la Malaisie avant la guerre, par l'élément "Japon" au milieu de tout ça, par l'évolution des relations entre Michiko et Philip d'une part, et de Philip et Endo-san d'autre part, les deux liés par l'aïkido dont la philosophie et l'art du combat imprégnaient délicieusement le texte et l'action. 
Les personnages étaient bien campés aussi. J'ai trouvé celui de Philip, partagé entre deux mondes de par ses origines, anglaises par son père, chinoises par sa mère, particulièrement intéressant. J'ai beaucoup aimé également la description de la Malaisie, de Penang du moins, ses quartiers, un véritable melting-pot, ses spécialités culinaires, la nature luxuriante...

Puis la guerre est arrivée, le Japon a envahi la Malaisie, et là, j'ai eu plus de mal à savoir quoi penser des protagonistes quand leur ambivalence est devenue manifeste. Et quand ça a viré au délire mystique, ça a bien failli m'être fatal. Comme j'avais un parti pris très clair dans cette guerre, il m'était difficile d'adhérer à la vision des choses d'Endo-san, d'autant plus qu'elle impliquait des histoires de réincarnation, de vies antérieures, de cycles de souffrance et de recherche de rédemption, et de destins tout tracés qui justifiaient ses actes. Philip subira-t-il son destin ou choisira-t-il d'en être maître ? C'est tout l'enjeu de cette intrigue.

Par ailleurs, quelques autres éléments de l'intrigue m'ont un peu chiffonnée, notamment certains aspects de l'histoire laissés en plan, comme sans importance, alors que j'attendais qu'ils soient dévoilés (ce qu'Endo-san devait expliquer à Philip "plus tard", ou encore le contenu de sa lettre à Michiko...). L'ambiguïté de l'amitié entre Philip et Endo-san a fini aussi par me laisser perplexe sur la longueur. Elle était finalement difficilement compréhensible, presque malsaine.

Malgré ces réserves, j'ai toutefois véritablement apprécié cette lecture pour tout le côté culturel et historique. J'ai beaucoup appris sur cette période d'occupation anglaise puis japonaise en Malaisie, mais surtout, j'ai été marquée par cette écriture qui m'a subjuguée comme rarement, étrangement pas ennuyeuse et pourtant très descriptive, assez poétique. Chapeau bas au traducteur pour avoir su restituer à merveille cette finesse de ton et d'esprit !

Extraits
"Ces feuillets me ressemblent, pensai-je en les regardant. Ma vie était si bien pliée qu'elle ne montrait au monde extérieur qu'une page blanche."

" "[...] Le thé vous plaît-il ?"
J'en bus une gorgée. Son goût était amer et mélancolique, ce qui me laissa perplexe. Comment une boisson pouvait-elle receler l'essence d'une émotion ?"

Également commenté par Sunalee.

Lu dans le cadre des

Intègre le Défi lecture 2024 (27/30/100) => catégorie 67 (un livre avec un bandeau) (j'ai choisi la couverture sans pour ce billet - ça concorde avec ma façon de lire : j'enlève toujours les bandeaux^^)
Et en passant, pour 512 pages lues, les

L'élément "mer" est aussi assez présent avec la Malaisie et ses ports, la présence de marins, les îles, dont Penang et celle où vit Endo-san. Il y a aussi un voyage en bateau, quelques jours de navigation pour aller à Kuala Lumpur via le "détroit le plus célèbre du monde, où nous suivions la route empruntée par des marins depuis des siècles". Les pensées de Philip sont par ailleurs très façonnées par la mer, il y trouve même du réconfort... Mais comme l'intrigue était tout de même axée sur d'autres thématiques bien plus prédominantes et qu'il n'y a pas vraiment d'action en mer, ou des rôles de marins et pêcheurs vraiment significatifs, je n'ai pas intégré ce roman au book trip en mer (ça aurait pu l'être, cela dit^^).

L'auteur
Tan Twan Eng est né à Penang en Malaisie en 1972. Le Jardin des brumes du soir a remporté le prix Man Asian du meilleur roman asiatique et le prix Walter Scott de la fiction historique. Le Don de la pluie a figuré dans la sélection du prix Booker.

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