DARK MATTER

Attirée par la mention "coup de coeur" sur l'édition Gallmeister repérée en librairie, l'accroche correspondait tout à fait à mon envie du moment d'un thriller page-turner passionnant et efficace. Catégorie SF en plus, c'était encore plus alléchant même si j'avoue que j'étais moyennement emballée par le thème du multivers, n'ayant pas vraiment adhéré au film "Everything Everywhere All At Once". J'avais toutefois une véritable curiosité pour le succès du roman de Blake Crouch, confirmé par son adaptation en série (j'ai regardé le trailer par la suite, ça m'a l'air très fidèle et très réussi).

Le contexte : Jason, professeur de physique à Chicago, vit une vie sans éclat mais très satisfaisante, en particulier car il a à ses côtés deux êtres qu'il aime plus que tout au monde, sa femme Daniela et son fils Charlie, 15 ans, deux personnes pour qui il a sacrifié sa prometteuse carrière de chercheur scientifique de renom. Sans regret.

Sans regret ? Un soir, au sortir d'un bar sur le chemin du retour, il se fait kidnapper par un étrange inconnu masqué. Ce dernier ne le tue pas mais le drogue à l'aide d'une seringue. Quand Jason revient à lui, il s'éveille dans un grand laboratoire de recherches où les gens attendaient visiblement son retour avec excitation et où il est acclamé en héros par la communauté scientifique. S'il est bien à Chicago qu'il reconnaît malgré quelques menues différences, dans ce monde, il n'est pas marié avec Daniela, qui est une artiste montante, et n'a pas de fils. Il a conçu une boîte noire révolutionnaire qui permet d'accéder au multivers. Enfin, pas lui. Le Jason de ce monde qui n'est pas le sien et dans lequel il n'a pas intérêt à ce qu'on découvre son imposture. Il lui faut donc fuir, mais surtout, retrouver son monde à lui, sa femme Daniela et son fils. Comment ? En passant par la boîte noire, bien sûr. Mais comment fonctionne-t-elle ?

Si, au début, j'ai été un peu agacée par le style parce que je trouvais que l'auteur passait un peu trop de temps dans les mamours mélo entre Jason et sa femme, jouait le suspense inutile avec son ravisseur, abusait des descriptions, et parce qu'une fois arrivé dans l'autre monde, alors que Jason se demandait ce qui lui arrivait, je rongeais un peu mon frein, genre, ben, c'est le multivers, allô, on ne va pas y passer trois heures à essayer de le deviner...

... une fois passé ce cap, c'était un peu comme ces attractions qui démarrent brutalement après un petit temps de tranquillité, un vrai décollage où j'ai dû m'agripper au livre et un voyage complètement dingo et vertigineux dans le multivers. J'ai finalement trouvé ce thème que j'appréhendais vraiment bien traité, le roman franchement bien fichu et c'est une lecture qui s'est même finie en nuit blanche !

J'ai mieux compris les choix narratifs de l'auteur au début. Oui, je m'agace vite des fois.^^

Le multivers ici est plus élaboré que je ne m'y attendais, autrement plus palpitant et subtilement exploré, avec toutes ses possibilités, ses contraintes, ses problématiques, ses paradoxes... C'était complètement fou et captivant, tout en étant parfaitement limpide et cohérent.

On n'a jamais vraiment le temps de reprendre ses esprits dans ce grand huit émotionnel. Au dernier quart du livre, on a droit encore à un petit looping bien vertigineux, encore plus dingo, l'imagination de l'auteur était à son comble, et même si j'ai encore eu des moments de scepticisme en relevant quelques incohérences, tout s'éclairait et se dissipait quelques pages plus loin. L'auteur a vraiment bien structuré son intrigue, rien à redire de ce point de vue.

Jusqu'à la toute fin, on est dans le doute : Jason va-t-il réussir à retrouver son monde, et surtout sa Daniela et son fils ?

J'ai beaucoup aimé l'imagination de l'auteur autour des différentes possibilités de vie et de personnalités de Jason et Daniela suivant les décisions prises dans leur vie, mais aussi autour des différentes versions de la ville de Chicago suivant qu'elle soit plus ou moins avancée technologiquement, qu'elle ait subi une catastrophe naturelle, etc. La façon d'accéder à ces univers, qui demande un état d'esprit particulier, est vraiment bien vue aussi, mais je n'en dirai pas plus pour ne pas trop spoiler.

Au-delà du roman SF thrillant et palpitant, c'est aussi, d'une certaine manière, un roman philosophique qui suscite de nombreuses réflexions, dont celles assez classiques sur nos choix de vie : a-t-on fait les bons, faut-il les regretter, profiter du multivers pour expérimenter un autre choix de vie, ces mondes sont-ils réels ou est-il devenu fou ? Et cette question fondamentale, plus psychologique et intimiste : qui sommes-nous en réalité, indépendamment de nos métiers, de ce qui nous définit socialement, de nos modes de vie, de nos personnalités...? Qui sommes-nous au coeur de nous-mêmes ? 

Un thriller SF très efficace, je confirme ! Pas un coup de coeur ou une révélation pour ma part, il m'a manqué quelque chose dans l'écriture peut-être et je l'ai trouvée un peu trop descriptive par moment, mais ça reste un excellent moment de lecture qui a fait le job du page-turner comme promis. Peut-être même ai-je oublié de respirer par moment.😆

Me voilà maintenant bien tentée par la trilogie Wayward Pines du même auteur qui m'a l'air toute aussi hallucinée et délirante !

Intègre Sous les pavés, les pages (pour Chicago - qui a plus qu'un rôle de décor dans l'histoire - et ses multiples versions)

et le Défi lecture 2024 (29/30/100) => catégorie 13 (livre dans lequel une plateforme de streaming est mentionnée) (ici, Netflix).

L'auteur

Né en 1978 à Stateville, en Caroline du Nord, Blake Crouch est un romancier américain de science-fiction, d'horreur et de thrillers. Il a écrit une vingtaine de romans, parmi lesquels la trilogie Wayward Pines, portée au petit écran par le réalisateur M. Night Shyamalan. Son roman Dark Matter a également été adapté en une série TV.