mercredi 30 octobre 2024

L'HÔTEL DU BON PLAISIR


Au départ, ce n'était pas ce titre que je pensais lire pour découvrir Raphaël Confiant, un projet que je caresse depuis quelque temps, mais plutôt Le Bal de la rue Blomet (question de disponibilité à la bibli et le sujet, ce lieu mythique du Paris des Années folles, me parlait bien), mais j'ai finalement pu mettre la main sur ce roman-ci (autre bibli) dont le thème me plaisait aussi.

L'Hôtel du Bon Plaisir, construit en 1922, est un immeuble locatif du quartier mal famé des Terres-Sainville, abritant des personnages pittoresques, et "en narrant l'histoire mouvementée de la construction de cet hôtel, Raphaêl Confiant raconte celle de ses habitants, véritable microcosme de la société créole".
J'aime beaucoup les histoires d'immeuble articulées autour de la vie de leurs locataires et du quartier, et par extension, de la ville. En cela, ça m'a beaucoup fait penser à La Tour de Doan Bui que j'avais adoré.

Dès la première page, c'est ciao Paris (ou quelque autre ville où vous vous trouvez en France) du 21e siècle, bonjour Fort-de-France - Foyal pour les intimes - des années 50 où on se retrouve téléporté sans préambule, dépaysement immédiat à travers la langue, singulière mais goûtue, pleine de vie et de couleurs, que l'auteur manie à sa guise et avec une telle aisance qu'elle coule tout naturellement. Rien de guindé, une écriture riche et imagée, le verbe précis, des expressions et tournures de phrases délicieusement surannées - parfois couleurs locales - mais quel dommage, elles sont si savoureuses, et l'auteur, qu'on sent bien malicieux tout le long, joue habilement des différents niveaux de langage au gré des personnages que l'on suit, glissant ici et là quelques phrases en créole qui ajoutent encore plus de caractère au texte. 
Je me suis délectée d'expressions telles que :
"[...] elle avait passé l'entier de la nuit à se récurer à l'aide d'une pierre ponce."
"[...] alors que ses voisins faisaient traîner leurs chantiers etcetera de temps [...]"
"[...] à tous ces gandins qui rôdaillaient autour de chez elle au finissement de l'après-midi."

Je ne résiste pas au plaisir de consigner ici l'extrait de la quatrième de couv que je n'ai pu m'empêcher de prolonger des deux lignes qui suivaient. Ça donne un très bon aperçu de la langue et du style.

    "Seuls les rares étrangers, qu'on dérisionnait sous le vocable d' "emmenés-par-le-vent" à s'aventurer dans cette partie du quartier de Terres-Sainville situé à quelques encablures du pestilentiel canal Levassor, levaient le nez sur l'enseigne et parfois cognaient, en vain, sur la porte d'entrée en quête d'une chambre. Inévitablement, ces pauvres bougres étaient accueillis par les braillements d'une plantureuse négresse, qui bordillait la cinquantaine, Man Florine, celle-ci trouvant là l'occasion d'étaler sa défiance envers la gent masculine et de l'univers entier tout à la fois. Ouvrant brutalement sa fenêtre, elle fusillait l'importun du regard avant de lui lancer en créole :
    - Sa ou lé ? Pa ni chanm pou koké isiya ! [...] (On veut quoi ? Y a pas de chambres pour baiser ! Ce sont des gens de bien qui habitent ici ! Si vous cherchez une catin, allez donc à la Cour Fruit-à-Pain !)
    Avant de surenchérir en français mâtiné de vieilleries langagières, quand elle était d'humeur égale:
    - Ce n'est point le lieu pour bailler carrière à vos fantaisies, jeune monsieur !"

Ce roman est donc l'histoire [extrait du "journal de bord d'un naufragé qui n'a jamais pris la mer"^^] d'un "immeuble bringuebalant où se sont rassemblés des destins brisés, des existences secrètement gardées, des rêves explosés [...]". Un immeuble dont le rez-de-chaussée et le premier étage sont en béton, le deuxième en brique, le troisième en fibrociment, le quatrième en bois et disposant d'un moignon de cinquième étage. Un immeuble qui a d'abord été un centre d'accueil pour les nécessiteux de Fort-de-France, l'Hôtel de la Charité Saint François de Sales, puis une maison de tolérance pendant la guerre, l'Hôtel des Plaisirs, avant de devenir le respectable Hôtel du Bon Plaisir où logent désormais un clarinettiste, un avocat ruiné, un entrepreneur, une famille d'hindous, un Syrien, et bien sûr la truculente Man Florine, sans oublier les trois soeurs békés propriétaires de l'immeuble, tous plus épiques les uns que les autres. C'est aussi leur histoire, individuelle et collective, que l'on suit, avec, en fond, celle de la Martinique. Un ouvrage très instructif à ce propos !

Ce n'est pas un coup de coeur mais quel plaisir de lecture !

LC avec Ingannmic, Miriam.

Lu dans le cadre de Sous les pavés, les pages
(37 ans (1922-1959) d'histoire "d'un modeste bâtiment à l'origine destiné à soulager la misère des guenilleux du quartier des Terres-Sainville, au beau mitan de Fort-de-France, capitale de la Martinique, petite île à la topographie excentrique de l'archipel des Antilles, lui-même excroissance en forme d'arc de cercle du continent américain."^^) 

L'auteur
Né en 1951 à la Martinique, auteur de nombreux romans, essais ou poèmes, Raphaël Confiant est aujourd'hui l'un des chefs de file du mouvement littéraire de la créolité.

42 commentaires:

  1. Je pense que je craquerais aussi pour la langue goûtue!!!
    Aucun rapport : je suis en train de lire (dévorer) bien être de Nathan Hill, et je vois que tu as ce projet aussi. Une lecture commune?

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    1. Allez !:) La LC sur messenger commencera vers mi-novembre au plus tôt donc je pense n'être en mesure de publier mon billet qu'en décembre. Disons le 9/12 ?

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    2. Je note, mais on se réserve le droit de bouger. En tout cas, il me reste 70 pages... ^_^Se lit très bien, mais pas dans le métro.

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    3. Un des rares titres de cette rentrée littéraire que j'ai noté. J'ai tellement aimé Les fantômes du vieux pays, et si j'en crois le commentaire de Keisha, celui-là est tout aussi excellent ! Ceci dit, j'attends sa sortie poche..

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    4. @Ingannmic, je crois bien que c'est le seul de la rentrée littéraire que j'aurai lu dans l'année.:)

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    5. @keisha ça me va très bien la souplesse dans les dates.:)

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  2. Vu ton article, je m'attendais à un coup de coeur en final ! Les extraits sont savoureux, bien loin du style tout lisse du titre de cet auteur que j'ai lu en cette rentrée littéraire. Je retiens ce titre pour l'histoire de l'immeuble, j'adore cette structure narrative.

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    1. J'étais très tentée aussi par son dernier roman, le sujet me paraissait intéressant, mais vu tes réserves, je vais plutôt me concentrer sur ses précédents titres. Outre les thèmes, j'aimerais bien retrouver l'écriture qui m'a enchantée ici en le relisant.

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  3. Les personnages ont l'air haut en couleur et le tout savoureux à souhait :)

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  4. C'est donc une agréable lecture commune. J'aime beaucoup l'extrait, le langage évoque tout de suite des images du lieu et des gens. Comme toi, j'adore les histoires dans les immeubles. Tu as lu la BD Plein ciel ?

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    1. Non, pas encore.:( Je l'avais pourtant bien repérée à sa parution parce que, bon, histoire d'immeuble^^, mais je l'ai un peu oubliée depuis car elle n'est pas dans une de mes biblis les plus proches. Mais je vais le faire ce détour.;)

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  5. Une lecture sympathique avec des personnages en verve ! J'aime bien l'idée de récit de vie des gens d'un immeuble.

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    1. Oui, c'est souvent réjouissant ces galeries de personnages dont les histoires s'entrecroisent au sein d'un même bâtiment et sur le thème, ce roman-ci ne déçoit pas.

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  6. Bien tentante cette lecture, et puis une petite plongée dans l'atmosphère créole, c'est toujours agréable.

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    1. Mais oui, c'est délicieusement dépaysant !:)

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  7. Oui j'avais lu sa muse de beaudelaire et j'avais vraiment aime....meme si c'etait assez decousu...mais bon cela semble etre son style et cela ne me derange pas apres tout.....je voulais lire son dernier lala qui vient de sortir...a suivre quoi avec cet auteur....c'est sur...;)

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    1. Ici aussi, c'est loin d'être linéaire, mais on sent quand même que le développement de l'histoire est bien maîtrisé. C'est peut-être pour ça que le côté "décousu" ne dérange pas. Enfin, j'ai lu plus complexe à suivre.;)

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    2. Ah dans sa muse...c'est vraiment vraiment decousu....;)...en tout cas cela me donne plus envie de le lire alors...car cela semble plus lineaire alors....;)

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    3. Ah oui ? Me voilà intriguée par "sa muse" du coup ! Il me faut voir ce que tu appelles "vraiment vraiment décousu".^^

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    4. Et bin je te laisse decouvrir....et j'espere que tu aimeras....quand meme....;)

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    5. Je pense, oui, je suis assez à l'aise avec le décousu.^^

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  8. Bien aimé ce détour par la Martinique! Tu soulignes le style créole que j'ai savouré avec plaisir.

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    1. Moi aussi, j'ai aimé ce voyage. Il faudrait que j'y retourne plus souvent d'ailleurs (par l'intermédiaire des livres, s'entend^^).

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  9. Bien entendu je connais l'auteur de nom et j'ai lu certains de ses poèmes mais bizarrement jamais un de ses romans. Pour l'instant je ne fais que le noter parce que mes piles débordent donc, ça attendra un peu.

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    1. Je connais bien le problème des piles qui débordent.;) Je suis d'ailleurs dans un processus de (tentative) d'assainissement de la PAL d'ici la fin de l'année.^^

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  10. La narration décousue semble être une constante chez cet auteur, je l'ai effectivement retrouvée dans tous les titres que j'ai lus, sans que ce soit gênant ceci dit.. tu soulignes à fort juste titre l'importance de la langue, à l'origine du plaisir que procure la lecture, je me suis régalée et je suis vraiment ravie de voir que mes deux co-lectrices aussi !

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    1. C'est vrai que la langue m'a marquée ici. Elle m'a en tout cas vraiment donné envie de lire d'autres livres de l'auteur. C'était une bonne idée de le proposer en LC.

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  11. Oh oui, les histoires d'immeuble !! J'ai été en Martinique, je suis passée à côté de ce titre parce que je cherchais à lire local à l'époque... :)

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    1. Ah toi aussi, tu as un faible pour les histoires d'immeuble ? On va former un club.^^ Ce livre est parfait pour se mettre dans l'ambiance locale.

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  12. Tu fais bien de mettre les expressions que tu as aimées, car moi j'ai horreur de cette écriture et je sais que je ne dois pas lire ce livre...

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  13. Je pense que j'aimerais le style, mais moins sûre pour l'histoire.

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    1. Il vaut mieux pouvoir apprécier les deux, c'est sûr.:) Il doit bien y avoir, dans sa bibliographie, un roman dont l'histoire pourrait davantage correspondre à tes goûts.

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  14. Sans l'avoir en horreur, ce style me fatigue vite. A petites doses, je peux apprécier, mais tout un roman c'est souvent trop...

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    1. Oui, je comprends, ça peut me faire cet effet aussi suivant les livres, c'était d'ailleurs le cas avec Texaco de Patrick Chamoiseau, mais ici, j'ai trouvé qu'il y avait un bon équilibre avec différents niveaux de langage et surtout, le tout coulait vraiment naturellement et il y avait une vraie vivacité dans l'écriture.

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  15. Le titre me disait quelque chose, mais au final, je ne l'ai pas lu. Allez hop, je le note.

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    1. J'espère que tu apprécieras autant que nous trois.:)

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  16. Un plaisir de la langue donc, "l'entier de la nuit", "l'etcetera du temps"... Je note le titre.

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    1. Je trouve ces formulations franchement délicieuses. J'espère que tu y prendras autant plaisir que moi.

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    2. L' anonyme est claudialucia. Je ne suis pas encore allée à la bibli mais je vais essayer de le trouver.

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    3. Je suis sûre que d'autres de ses romans pourraient être tout à fait satisfaisants si ta bibli n'a pas celui-là.:)

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