Au départ, ce n'était pas ce titre que je pensais lire pour découvrir Raphaël Confiant, un projet que je caresse depuis quelque temps, mais plutôt Le Bal de la rue Blomet (question de disponibilité à la bibli et le sujet, ce lieu mythique du Paris des Années folles, me parlait bien), mais j'ai finalement pu mettre la main sur ce roman-ci (autre bibli) dont le thème me plaisait aussi.
L'Hôtel du Bon Plaisir, construit en 1922, est un immeuble locatif du quartier mal famé des Terres-Sainville, abritant des personnages pittoresques, et "en narrant l'histoire mouvementée de la construction de cet hôtel, Raphaêl Confiant raconte celle de ses habitants, véritable microcosme de la société créole".
J'aime beaucoup les histoires d'immeuble articulées autour de la vie de leurs locataires et du quartier, et par extension, de la ville. En cela, ça m'a beaucoup fait penser à La Tour de Doan Bui que j'avais adoré.
Dès la première page, c'est ciao Paris (ou quelque autre ville où vous vous trouvez en France) du 21e siècle, bonjour Fort-de-France - Foyal pour les intimes - des années 50 où on se retrouve téléporté sans préambule, dépaysement immédiat à travers la langue, singulière mais goûtue, pleine de vie et de couleurs, que l'auteur manie à sa guise et avec une telle aisance qu'elle coule tout naturellement. Rien de guindé, une écriture riche et imagée, le verbe précis, des expressions et tournures de phrases délicieusement surannées - parfois couleurs locales - mais quel dommage, elles sont si savoureuses, et l'auteur, qu'on sent bien malicieux tout le long, joue habilement des différents niveaux de langage au gré des personnages que l'on suit, glissant ici et là quelques phrases en créole qui ajoutent encore plus de caractère au texte.
Je me suis délectée d'expressions telles que :
"[...] elle avait passé l'entier de la nuit à se récurer à l'aide d'une pierre ponce."
"[...] alors que ses voisins faisaient traîner leurs chantiers etcetera de temps [...]"
"[...] à tous ces gandins qui rôdaillaient autour de chez elle au finissement de l'après-midi."
Je ne résiste pas au plaisir de consigner ici l'extrait de la quatrième de couv que je n'ai pu m'empêcher de prolonger des deux lignes qui suivaient. Ça donne un très bon aperçu de la langue et du style.
"Seuls les rares étrangers, qu'on dérisionnait sous le vocable d' "emmenés-par-le-vent" à s'aventurer dans cette partie du quartier de Terres-Sainville situé à quelques encablures du pestilentiel canal Levassor, levaient le nez sur l'enseigne et parfois cognaient, en vain, sur la porte d'entrée en quête d'une chambre. Inévitablement, ces pauvres bougres étaient accueillis par les braillements d'une plantureuse négresse, qui bordillait la cinquantaine, Man Florine, celle-ci trouvant là l'occasion d'étaler sa défiance envers la gent masculine et de l'univers entier tout à la fois. Ouvrant brutalement sa fenêtre, elle fusillait l'importun du regard avant de lui lancer en créole :
- Sa ou lé ? Pa ni chanm pou koké isiya ! [...] (On veut quoi ? Y a pas de chambres pour baiser ! Ce sont des gens de bien qui habitent ici ! Si vous cherchez une catin, allez donc à la Cour Fruit-à-Pain !)
Avant de surenchérir en français mâtiné de vieilleries langagières, quand elle était d'humeur égale:
- Ce n'est point le lieu pour bailler carrière à vos fantaisies, jeune monsieur !"
Ce roman est donc l'histoire [extrait du "journal de bord d'un naufragé qui n'a jamais pris la mer"^^] d'un "immeuble bringuebalant où se sont rassemblés des destins brisés, des existences secrètement gardées, des rêves explosés [...]". Un immeuble dont le rez-de-chaussée et le premier étage sont en béton, le deuxième en brique, le troisième en fibrociment, le quatrième en bois et disposant d'un moignon de cinquième étage. Un immeuble qui a d'abord été un centre d'accueil pour les nécessiteux de Fort-de-France, l'Hôtel de la Charité Saint François de Sales, puis une maison de tolérance pendant la guerre, l'Hôtel des Plaisirs, avant de devenir le respectable Hôtel du Bon Plaisir où logent désormais un clarinettiste, un avocat ruiné, un entrepreneur, une famille d'hindous, un Syrien, et bien sûr la truculente Man Florine, sans oublier les trois soeurs békés propriétaires de l'immeuble, tous plus épiques les uns que les autres. C'est aussi leur histoire, individuelle et collective, que l'on suit, avec, en fond, celle de la Martinique. Un ouvrage très instructif à ce propos !
Ce n'est pas un coup de coeur mais quel plaisir de lecture !
(37 ans (1922-1959) d'histoire "d'un modeste bâtiment à l'origine destiné à soulager la misère des guenilleux du quartier des Terres-Sainville, au beau mitan de Fort-de-France, capitale de la Martinique, petite île à la topographie excentrique de l'archipel des Antilles, lui-même excroissance en forme d'arc de cercle du continent américain."^^)
L'auteur
Né en 1951 à la Martinique, auteur de nombreux romans, essais ou poèmes, Raphaël Confiant est aujourd'hui l'un des chefs de file du mouvement littéraire de la créolité.
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