lundi 7 mars 2016

LA VOITURE D'INTISAR


LA VOITURE D'INTISAR

PORTRAIT D'UNE FEMME MODERNE AU YÉMEN

Ma première incursion au Yémen en BD !
Je pensais avoir lu déjà pas mal sur la condition des femmes dans le monde arabe, avec, entre autres, Persepolis de Marjane Satrapi si on regarde côté BD, mais là, c'était le pompon, la médaille du pire endroit pour une femme !

Ce projet de livre est né suite à un séjour d'un an de l'auteur, Pedro Riera, à Sanaa, au Yémen, avec sa femme, en 2010. Le choc de la rigidité de la ségrégation entre les hommes et les femmes dans la société au quotidien et en tout lieu les a tellement frappés que l'idée d'un livre sur la condition féminine au Yémen s'est imposée.
L"auteur, en préface :
"Au cours des dix mois que j'ai passés dans ce pays, je n'ai réussi à me faire que quatre amies yéménites. Et j'étais obligé de voir deux d'entre elles en cachette, en prenant les mêmes précautions que si j'allais retrouver une maîtresse. Il va sans dire que ma femme était présente à chacune de ces rencontres."

Ce roman graphique illustre donc la réalité yéménite à travers la vie d'Intisar, une jeune femme issue d'une famille plutôt aisée et aux idées et mode de vie plutôt modernes, le tout distillé en courts épisodes qui donnent une idée de son quotidien à travers des fragments d'histoires et d'anecdotes.

Le personnage d'Intisar n'existe pas mais s'est construit à partir de l'interview et des témoignages d'une quarantaine de femmes yéménites où elles partageaient leurs aspirations, leurs conditions, intérêts, craintes, frustrations et idées.
"... il y avait un risque : si un homme reconnaissait sa soeur, sa femme ou sa fille dans le personnage principal du roman graphique, et le prenait comme une atteinte à son honneur, elle se serait retrouvée en danger."

Ce qui m'a frappée, c'est que cet album donne l'image de femmes de caractère, intelligentes, qui savent ce qu'elles veulent. J'ai aimé ces témoignages où l'on sent vraiment que ces femmes se livrent complètement, comme une libération de pouvoir lâcher tout ce qu'elles ont sur le coeur, sans agressivité pour autant, de façon posée, où elles réfléchissent à la situation, se posent des questions, cherchent des réponses, sur des sujets très variés au final, pas seulement sur leur condition.

Ce qui était particulièrement appréciable, c'est qu'il y a beaucoup d'humour et de dérision malgré tout, une certaine légèreté, mais apparente. On sent tout de même bien le poids des interdits et des contraintes, l'étouffement, l'aspiration à la liberté.

"Être à la merci des hommes et de leurs états d'âme, c'est ce que je hais."

"Quand j'ai finalement convaincu mon père de me laisser faire mes études à Damas, j'ai réalisé qu'en fait, je ne voulais pas être un homme. Ce que je voulais, c'était être une femme, mais avoir le pouvoir de décision et la liberté des hommes."

Un témoignage fort, très instructif, qui tord le cou aussi à des images et idées préconçues.

La mère à sa fille:
" - A tout à l'heure, ma chérie. Et arrange-moi ce niqab, on voit tes sourcils.
Aparté de la fille : Le fait que le niqab ne laisse pas voir les sourcils, ça n'a rien à voir avec la religion. C'est purement esthétique, ça fait moche sinon."

"Personnellement, je ne connais aucune femme qui porte le niqab par conviction. Il y en a qui le mettent parce que leur mari ou leur père les obligent. Mais dans beaucoup de cas, c'est pour éviter d'être emmerdée dans la rue. Si tu ne le portes pas, il y a des hommes qui vont penser que tu es une femme facile et ils te feront des propositions. Sinon, ils peuvent aussi t'insulter. C'est hyper désagréable. C'est pour ça qu'ici les femmes se sentent plus libres avec un niqab. Parce qu'elles peuvent sortir dans la rue sans qu'on leur casse les pieds. Et on ne peut pas nier que le niqab a certains avantages : ça permet de faire des choses interdites sans que personne ne le sache."

À propos des caricatures du prophète :
"Ce que j'essaie de comprendre, c'est cette unanimité à défendre les caricatures. J'ai beaucoup réfléchi, et la seule explication que j'ai trouvée, c'est peut-être que chez vous, il n'y a rien de vraiment sacré, rien d'intouchable. Comme le Coran ou la représentation du prophète chez nous. Et c'est pour ça que, comme disait l'Allemande, vous ne pouvez pas comprendre qu'il y ait des choses qui nous offensent autant et de manière aussi unanime. Ou peut-être qu'en fait, ce qui est vraiment sacré pour vous, c'est la liberté d'expression."

En fin de volume, cette BD est complétée, en annexe, par une série d'articles sur la société et la culture yéménites qui éclaireront certains aspects culturels du récit, et également par le descriptif du travail graphique de Nacho Casanova dans cet album. Passionnant ce dernier article ! Autant je n'ai pas été spécifiquement épatée par ses illustrations, autant  j'ai adoré suivre ses explications sur les étapes de son travail, comme une conférence privée, lors d'une exposition, qui permet de comprendre et mieux apprécier le travail d'un artiste.

Les auteurs
Pedro Riera, Barcelone, 1965 (scénario)
Nacho Casanova, Saragosse, 1972 (dessins)

12 commentaires:

  1. Voila qui a l'air passionnant. A emprunter à la bibli lors de mon prochain passage.

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    1. Oui, une BD qui vaut vraiment le détour !

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  2. Bon, tu penses bien que c'est une lecture pour moi aussi, ça. Dans la série des pires pays, tu as l'arabie saoudite qui a l'air sympa aussi, sans parler de l'afghanistan, etc. Je suis mal remise de la photo de JF afghanes dans les années 70 (http://terredasie.com/en-afghanistan-les-femmes-au-volant-defient-le-machisme/afghanes_kaboul_70/)
    A part ça, faudrait que j'en parle à mon frère, qui a passé un an à Sanaa dans les années 92 ou 93, avec femme, gamin (et chien!)
    Et le Brink alors, t'avances?

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    1. Tiens, je la connais cette photo, elle a pas mal circulé. Comme quoi, il ne faut jamais rien considérer comme acquis et toujours rester sur ses gardes...
      Quant à Brink, terminé même !:-) Et franchement, moi j'ai bien aimé. Rien trouvé de mièvre là-dedans, et tu connais ma haute intolérance à ce sujet.;-) (certes, il y a 2-3 phrases dignes des cantiques des cantiques mais rien d'incohérent ou ridiculement romantique disons dans l'histoire).
      Sinon, j'ai vu sur Goodreads (quel formidable espion haha) que tu venais de finir "L'homme qui parlait la langue des serpents". Je viens de commencer "Les groseilles de novembre" du même auteur, je pressens le coup de coeur ! Enfin, j'adore déjà l'auteur !

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    2. Je viens de goodreads, ha ha, j'ai vu 4 étoiles à Brink, je me sens lamentable, on va dire 'ce n'était pas le bon moment'. Je me réserve pour la parution des billets.
      Oui, Kiviräkh, prêté par une blogueuse qui a eu pitié! rha la la un grand moment, c'est complètement pour toi, cet OLNI! On se fait une LC pour l'auteur? ^_^ (je n'ai pas Les groseilles)

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    3. Bah si tu n'as pas aimé, c'est ton droit, hein.;-) Moi, pour être plus précise, c'est entre 3,5 et 3,75 mais bon, clairement plus un 4 qu'un 3. Va falloir que je développe ça dans mon billet, haha !
      Sinon yes, LC auteur avec Kiviräkh (c'est grave ma came cet auteur. Il est fou !). Hmmm... Première semaine d'avril ? J'ai peur de ne pas suivre par contre pour "Ébène", je suis trop juste en timing... A moins que... fin avril ? Bon, décidez comme ça vous arrange parce que j'ai peur de retarder encore tout le monde (c'était chaud avec Le prophète mais ayé !^^). Au pire, je le lirai tranquillement plus tard.

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    4. Boaf, Ebène j'ai feuilleté, ça me dit toujours autant, mais rien ne presse, en fait on n'avait pas de date bien fixée. On démarre mars, alors avril est long aussi!

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    5. Bon, si vous n'êtes pas pressées, j'arriverai peut-être à vous rejoindre pour la LC.;-) Mais sinon, vraiment, allez-y, hein !

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  3. Intéressant ! On connaît tellement peu de choses sur le Yémen.

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    1. Exactement ce que je me suis dit en voyant cette BD à la bib' !:-)

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  4. Ca, je veux ! Vu qu'en plus on n'est pas là de pouvoir aller au Yemen tranquillou, mieux vaut y aller en BD !

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    1. Voilà ! Vivent les livres pour ça ! Voyager de par le monde mouvementé, tranquillement installé dans son canap', le thé et les petits gâteaux à portée de main, c'est pas mal aussi.:-)

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