jeudi 13 décembre 2012

ERASURE


ERASURE

EFFACEMENT )

Les écrivains noirs américains sont-ils condamnés à n'écrire que sur les (si possibles rudes) conditions de vie de leurs congénères pour satisfaire une certaine attente et curiosité du public, et voir ainsi leur talent reconnu ? Ne peut-on être simplement écrivain et exercer son art comme tout autre écrivain ? C'est un peu la question qui sous-tend ce récit avec un cynisme dont on se délecte tout le long.  

Monk, dans ce roman, est cet écrivain noir américain qui prend conscience du fait que le racisme n'est pas juste une question de haine, mais la manifestation d'une reconnaissance de la différence raciale. A ce moment-là, on vous dénie une identité propre, vous représentez forcément votre culture et son histoire, et l'on attend de vous que vous vous comportiez et exprimiez en conséquence, selon les idées préconçues que l'on s'est forgé sur vos origines.
Et comme le démontre assez tristement ce récit, concernant l'écrivain noir américain, si le public est prêt à l'accueillir chaleureusement, il n'est pas assez mûr pour voir l'écrivain au-delà du Noir américain.

C'est un état des faits assez tragique mais l'auteur, Percival Everett, parvient à soulever ces points avec tant d'ironie qu'on ne peut s'empêcher de rire bien souvent (j'ai même eu des rires de hyène hilare !).

J'ai aimé aussi le côté givré de l'auteur que je n'attendais pas du tout. A vrai dire, j'avais peur de me plonger dans un roman intello, limite inaccessible, et si son protagoniste, Monk, semble être de ces auteurs qui se délectent dans l'écriture de ce type d'ouvrages, Everett parvient justement à diluer ce trop plein de sérieux dans une narration multiforme particulièrement savoureuse et intelligemment développée.

Et quel talent dans tous les genres, et que de dérision ! J'ai adoré la lecture de Fuck, un roman dans le roman, une sorte de délire coup de tête qui m'a fait frémir au départ, un pastiche des romans sociaux noirs américains, mais que j'ai adoré à ma grande surprise (et à ma grande honte puisque selon Monk, je n'étais pas censée adhérer à ce genre de récits ). Vraiment truculent ! J'ai adoré les réactions de l'auteur, des éditeurs, des médias, du jury littéraire - excellent, ce dernier ! Rarement le ridicule de situation n'a été poussé aussi loin !
On assiste ici à une vraie satire socioculturelle de l'Amérique !

Dans une société qui impose de correspondre à des normes, à des critères sociaux qui rassurent, et qui ne peut accepter une autre réalité, on ne peut être soi. Il faut faire des concessions sur ses principes, perdre son identité propre, jouer un rôle pour conforter les gens dans le bien-fondé de leurs certitudes, se trahir pour survivre, ou alors, accepter d'être rejeté par la société.

Je suis vraiment ravie d'avoir enfin lu un Percival Everett, j'ai adoré cette découverte catégorie "très vieille LAL", et il va sans dire que je lirai d'autres romans de cet auteur !      

A lire également les avis éclairés d'YspaddadenKeisha...    

L'auteur
Diplômé de littérature et de philosophie, Percival Everett dirige le département de littérature de la Southern California University. Il a publié aux Etats-Unis une quinzaine de romans salués par plusieurs prix littéraires.

12 commentaires:

  1. Mouarf! le billet parfaitaiment en phase avec mes souvenirs...

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    1. Oui je viens de retrouver ton billet (purée, j'avais oublié que tu avais des articles sur ton ancien blog ). Ah il est excellent ce Percival, vraiment !

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  2. Je suis d'accord avec tout ce que tu écris là, c'est vraiment un très bon roman, j'aime beaucoup cet humour si intelligent.

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    1. Oui, j'aime beaucoup comment il fait passer les messages, tout en finesse et en subtilité, et quel sens de la dérision ! On pourrait discuter longuement de ce roman tellement il y a de thématiques qu'on pourrait dégager. Je me suis focalisée sur celle du statut d'écrivain noir américain mais j'aurais pu m'étaler des pages et des pages sur la vie et l'entourage de Monk !

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  3. Oh mais celui-là il va falloir que je le lise. Ton commentaire est excellent. Je le note même pas je sais où retrouver la référence.

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    1. Oui, n'attends pas des années comme moi avant de te décider à le lire, ce serait dommage ! L'auteur était au Festival America en plus... pfff...

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  4. Tu me donnes envie de relire cet auteur... J'ai lu seulement Désert américain, pas mal du tout.

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    1. Que "pas mal du tout ?":D Son sujet m'avait l'air original aussi d'après la 4è de couv', je pensais le lire prochainement. En tout cas, Effacement, c'est catégorie "excellent" !

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  5. Une découverte qui m'interpelle, notamment pour le sujet et le dernier paragraphe de ton billet que je trouve très fort.

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    1. Je pense que ça te plaira énormément ! C'est un roman qui suscite des réflexions à bien des niveaux et qui est véritablement savoureux. J'imagine déjà ton billet sur le sujet! J'ai hâte de le lire !

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  6. Je me retrouve totalement dans tes propos. J'ai relu le livre l'an dernier (ou en 2010 me souviens plus) et j'avais encore réussi à trouver d'autres angles de lecture. C'est un livre très riche et bien plus accessible qu'il n'en a l'air. Par contre, je regrette de n'avoir jamais retrouvé Everett à un tel niveau.

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    1. Ah voilà ce que je craignais, car ce livre est un petit chef-d'oeuvre en soi, et il me semblait impossible qu'Everett puisse faire preuve d'autant de génie à tous les coups !
      Concernant les angles de lecture, oui, ce roman est impressionnant par sa richesse thématique et les différentes façons dont on pourrait l'aborder. Il y a énormément à dire sur ce livre qui suscite bien des réflexions sur des sujets divers, à la mine de rien.
      Sûr que je ne m'arrêterai pas là dans ma découverte d'Everett, même si je m'attends à être moins épatée par ses autres oeuvres.

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