mercredi 26 janvier 2022

LES FEMMES AUSSI SONT DU VOYAGE


LES FEMMES AUSSI SONT DU VOYAGE

              L'ÉMANCIPATION PAR LE DÉPART

Repéré chez Sunalee, ce titre m'a tout de suite interpelée, étant une grande habituée des voyages solo que j'aime alterner avec les voyages à deux ou à plusieurs, suivant les destinations.

Dans cet ouvrage, dédié "à toutes les voyageuses, exploratrices, découvreuses, qui ne se poseraient pas tant de questions si elles étaient des hommes", l'auteure, Lucie Azema, elle-même grande voyageuse, s'attaque à l'imaginaire collectif de l'aventurier en questionnant la vision masculine de l'aventure et du récit de voyage. Car si pour l'homme, partir en expédition a été, de tout temps, tout à fait normal et vu comme une démarche virile, héroïque (cf Ulysse), pour la femme, c'est beaucoup moins ancré dans les moeurs (cf Pénélope attendant patiemment son homme, sédentaire et soumise comme il sied à son statut de femme) et la voyageuse a toujours été secondaire, moins considérée, voire dénigrée, en proie à divers préjugés, mêmes si les mentalités évoluent quelque peu.

C'est d'ailleurs "ce décalage entre la réalité et les mises en garde, entre ce que Lucie Azema vivait et les injonctions sécuritaires qu'elle recevait - complètement démesurées en comparaison de celles données à ses homologues masculins - qui a fait germer en premier l'idée de ce livre."

Un ouvrage très documenté, instructif et passionnant sur les thématiques du voyage et de la place de la femme au sein de cette sphère au cours des siècles, et les injustices qui lui ont été/sont faites simplement parce qu'elle n'est pas un homme car oui, "la polarisation des rôles entre masculin et féminin s'étend aussi à la sphère du voyage". Je ressors toutefois tendue et énervée comme souvent avec ce genre de livres (du coup j'en limite la lecture 😅) car si peu de considération et tant d'injustice aussi flagrante envers les femmes me sidèrent toujours.
Pour exemple, un fait que Lucie Azema souligne et qui m'a hérissé le poil, c'est que, dans les villes, les grandes avenues, les grands boulevards, portent toujours des noms d'hommes illustres, et les noms des femmes sont réservés aux impasses et autres petites ruelles. Quand j'ai réalisé que c'était en effet le cas, j'étais très énervée !

On s'étonnera qu'elle rhabille pas mal d'écrivains-voyageurs pour l'hiver, tel Vincent Noyoux (j'en étais un peu chiffonnée car je l'aime beaucoup, du moins j'adore ses récits de voyage) ou Sylvain Tesson (bon, lui, jamais lu donc c'est moins grave^^) mais force est de constater qu'à travers certaines formules, certaines phrases, consciemment ou non, il y a un peu, si pas exactement de misogynie, de sarcasme machiste, de condescendance, de paternalisme, qui se dégage de leurs récits, un certain irrespect, une forme de moquerie envers les voyageuses ou aventurières, et ce n'est effectivement pas très fair-play.
Je n'ai plus envie de lire Pierre Loti, et encore moins Kerouac (champion dans le dénigrement des femmes, rabaissées au rang de femmes-objets décoratives, ou d'utilité domestique ou sexuelle), et je suis même déçue par la plupart des écrivains ou artistes cités ici (Stendhal, Flaubert, Nerval, Gauguin) pour leur approche vénale, fétichiste de la femme locale, étrangère, leur recherche d'exotisme sexuel, même s'ils sont quelque part "victimes" de leur époque.
Bon, ce n'est qu'une portion de cet essai, le sujet n'étant pas spécifiquement les écrivains-voyageurs, mais ça m'a marquée tout de même.

Lucie Azema parle aussi brièvement des voyageurs non occidentaux et de leur regard sur l'Occident. Des passages très intéressants parmi d'autres où elle constate que les voyageurs et voyageuses noirs ont longtemps été, dans l'imaginaire collectif, des exilés, des immigrés ou des clandestins, rarement des aventuriers ou des touristes.

J'ai vraiment adhéré à cet ouvrage qui explore ce sujet des femmes et des voyages sous des angles extrêmement variés, mais si je peux lui reprocher quelque chose, c'est de participer d'une certaine façon à renforcer cette ghettoïsation des genres. Les écrivains-voyageurs ont quasi tous le mauvais rôle ici, et l'écrivaine-voyageuse est toujours pleine de mérite, davantage peut-être que l'homme, plus fine dans ses observations, plus juste, plus... légitime ? 
J'aurais aimé plus d'objectivité ou de nuances, or parfois on sent une sorte de rancoeur et une forme de règlement de comptes à travers les mots. C'est ténu, ce n'est pas du tout le propos, mais ça ressort quand même entre les lignes.

Un extrait pour conclure :
"Il existe une réelle difficulté à admettre qu'une femme puisse consentir, de manière pleine et entière, à sa solitude. Cette réticence fait de la femme seule un être étrange, sur lequel la société jette un regard empreint de suspicion : elle est incomplète. [...] La solitude est socialement inacceptable pour une femme : il y a forcément une absence, un vide à combler. Adepte des lectures dans les lieux publics, j'ai souvent été interrompue, sur un ton condescendant, par un homme qui jugeait utile de me donner son avis négatif sur le livre que j'étais en train de lire. [...] Il existe une tendance générale des hommes à considérer que le temps que s'octroie une femme lui est dû, qu'ils peuvent disposer de cet espace de liberté à leur guise. "- Vous êtes libre ce soir ? - Oui, mais permettez-moi de le rester."

L'auteure
Lucie Azema, née en 1989, est une journaliste française. Voyageuse au long cours, elle a vécu au Liban et en Inde avant de s'installer à Téhéran en 2019. Elle écrit pour "Courrier international".

20 commentaires:

  1. Je note ce livre qui pourrait tout-à-fait m'intéresser ... et m'énerver moi aussi. Dans le même esprit, une amie doit me prêter "Méfiez-vous des femmes qui marchent". Si les choses ne progressent pas vite dans la société, au moins les femmes s'emparent davantage de la littérature de voyage et s'y font une place.

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    1. Ah oui, la marche comme une opportunité pour la femme d'affirmer son indépendance, penser par elle-même, exister. Au début je me disais, allons bon, si on n'a plus le droit de marcher maintenant.^^ Je me le note aussi mais pas pour tout de suite donc. Rédiger ce billet hier a fait remonter en surface mon énervement d'il y a quelques mois quand j'ai lu ce livre.:)

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  2. Pfff, je le veux, rien dans mes biblis, sauf si on le fait venir de Montoire?
    Tu vois bien que c'est totalement mon créneau.
    Je viens de lire le dernier livre de titiou lecoq, tiens, aussi. Les femmes effacées, tout ça;

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    1. C'est totalement ton créneau, je confirme.^^ Fais-le donc venir de Montoire. Et j'ai vu que tu avais fini le Titiou Lecoq sur Goodreads.;) Je le lirai sûrement mais pas tout de suite tout de suite. Celui-ci est encore trop frais dans ma tête.

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  3. Je m'emparerais bien de ce livre aussi, j'aime bien les articles sur ce genre de sujet, mais comme toi, sur la longueur, et avec beaucoup d'exemples, ça risque de m'énerver...
    (j'aime bien d'avance, parce que l'autrice a rhabillé Sylvain Tesson, qui m'agace avec son côté donneur de leçons des beaux quartiers !)

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    1. Kathel, j'ai lu récemment, je ne sais plus où que Sylvain Tesson était un héritier qui se prenait pour un self made man. Plutôt bien vu (pardon a girl pour mon intrusion chez toi).

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    2. Pas de souci Aifelle, on peut faire salon ici.^^

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    3. Kathel, je suffoquais d'énervement par moment mais j'aime bien aussi ce genre d'ouvrages.:) Pour Sylvain Tesson, j'ai l'impression qu'il en agace plus d'un(e) mais a priori ses livres, certains du moins, semblent valoir le détour. Je ne suis pas encore sûre de m'y aventurer un jour.

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  4. Je vais laisser ce livre aux voyageuses...

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    1. Ahaha, excellent ce commentaire, quoique ça ne ferait vraiment pas de mal aux hommes de lire ce genre d'ouvrages.;)

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  5. Tesson dans sa panthère des neiges particulièrement m'avait un poil agacée, mais va voir le film!!! C'est fabuleux et Tesson essaie de n e pas trop la ramener; ouf.

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    1. Ah bon mais ça a l'air d'être un cas sévère ce Tesson, haha ! Je n'ai entendu que du bien sur le film, et sur certains de ses livres, mais le personnage Tesson, ça a l'air d'être quelque chose...

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  6. intéressant même si ça risque aussi de m'énerver... J'adore Tesson malgré ses défauts.

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    1. Aaah, tu sembles bien la seule avec Tesson, haha, mais du coup ça rend le personnage encore plus intrigant.

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  7. Je fais aussi partie des personnes/lectrices qui ne supportent pas bien S.Tesson ;-). Quant à ce que tu soulignes en fin d'article, sur les genres et le manque de nuances, voir d'excès, c'est toujours ce que je crains et qui me gêne pour ce type de lecture.

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    1. Oui je pense que c'est inévitable. Nous, les femmes, avons moult raisons d'en avoir gros sur le coeur et ça fait du bien sûrement de l'exprimer mais je ne sais pas si on arrivera jamais à établir un dialogue constructif si chacun reste campé sur ses positions en voyant l'autre sexe comme l'éternel ennemi. C'est juste mon sentiment...

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  8. Tu as raison de mettre le doigt sur ce côté "ghettoïsation", le nous contre les autres, c'est souvent un défaut de ce genre de livres. Mais j'ai appris plein de choses en le lisant, et j'ai évidemment souri en lisant les commentaires sur Sylvain Tesson, que j'ai beaucoup lu mais que je ne supporte plus. (Je compte bien aller voir "La panthère des neiges" par contre, mais j'avoue que c'est surtout la musique de Nick Cave et Warren Ellis qui m'attire).

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    1. Eh ben dis donc, ce Tesson a l'air vraiment charmant.:) Je vais finir par le lire ou peut-être l'écouter en interview pour me rendre compte de moi-même à quel point. J'ai beaucoup appris aussi grâce à ce livre et je suis ravie aussi que ce sujet des femmes et des voyages ait été traité. C'est un thème qui me parle vraiment.

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  9. Forcément intéressant cette lecture, mais je note tout de même l'aspect rancoeur envers le masculin et Vincent Noyoux (que j'adore aussi) qui en prend pour son grade ! Bref, peut-être un manque d'objectivité ?! Je suis justement en train de lire un récit de voyage (de Pierre Jourde )

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    1. Comme je disais, cette sensation de rancoeur reste ténue, et au vu du sujet, ce n'est pas très étonnant finalement que cela transparaisse ici et là mais ce n'est pas l'humeur principale de cet essai. Par ailleurs, en lisant ces "dénonciations", je me suis rendu compte que j'avais moi-même été bien conditionnée pour accepter tout cela comme normal ou n'y avoir vu que du feu, donc ce n'est pas plus mal qu'elle pointe du doigt ces quelques travers machistes et paternalistes là où on ne le soupçonnait pas (innocente que j'étais^^).

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