mercredi 8 octobre 2025

YELLOWFACE


L'écriture est la passion et la raison d'être de June Hayward. Toute sa vie, elle a rêvé d'être publiée, lue et adulée par des milliers de lecteurs. Mais ses écrits ne convainquent pas vraiment et elle n'est personne, tandis qu'Athena Liu, son "amie", celle avec qui elle a étudié et partagé sa passion de la littérature, connaît une ascension fulgurante dans le milieu depuis sa première publication. Son dernier livre va même être adapté par Netflix ! 
Un soir où elles célèbrent ensemble son succès, l'invraisemblable se produit. Sa rivale meurt dans un tragique et bête accident. Sans réfléchir, June se saisit du manuscrit qu'Athena vient de terminer et l'emporte avec elle. 

À sa lecture, l'inspiration lui vient subitement. Elle le retouche ici et là, réécrit des passages entiers, travaille dur pour lui donner forme, à tel point qu'elle estime maintenant que ce roman est le sien. Elle l'envoie à son agent en le faisant passer pour son propre travail (enfin, de son point de vue, il n'y a aucune ambigüité sur le sujet), et là, tout s'emballe. Les maisons d'édition se le disputent, June signe avec l'une des plus prestigieuses, une campagne marketing de folie s'ensuit, on la pressent dans le top des ventes. Ça ne rate pas, le livre est un succès. À elle la gloire tant attendue, et si méritée !

Oui, mais voilà, très vite, de nombreux lecteurs commencent à suspecter qu'elle n'est pas la véritable autrice de ce roman qui rappelle beaucoup le style d'Athena Liu et remettent en question sa légitimité à écrire sur la culture et l'histoire chinoises en tant qu'écrivaine blanche. June a beau avoir rôdé son discours pour faire face aux critiques, il n'est pas si simple de passer outre la déferlante d'accusations sur les réseaux sociaux. Sans compter que le fantôme d'Athena rôde. Ou est-ce sa mauvaise conscience ?

J'ai bien aimé le style de l'autrice, R. F. Kuang, une écriture contemporaine, vive, fluide, simple et efficace, et je suis rentrée sans peine dans l'histoire dont j'ai trouvé le propos vraiment intéressant et source de moult débats et réflexions. 
Très vite se pose la question du plagiat. On doute au début. June a écrit une bonne partie du roman tout de même, mais mon verdict a été assez rapidement radical. C'est une tricheuse dans le déni, qu'on prend un peu en empathie et qui amuse même au début, qui fascine aussi par son culot, mais qui devient assez vite antipathique. Vient ensuite la question de l'appropriation culturelle et du racisme sous-jacent, et plus largement, de qui peut écrire quoi, ou pire, qui doit écrire quoi, et là, j'ai trouvé intéressant le positionnement de R. F. Kuang qui m'a semblé faire preuve de lucidité et d'ouverture d'esprit.

L'idée de l'intrigue m'a beaucoup plu également, offrant une réflexion générale autour de l'écriture et un portrait assez féroce et satirique du monde du livre (auteurs, éditeurs, agents), des médias et des lecteurs, en particulier sur les réseaux sociaux (je ne parle pas de notre petit monde des blogs^^). Tout un univers sur lequel je ne me lasse jamais de lire, mais je dois dire qu'ici, c'était Le Diable s'habille en Prada de l'édition ! Ça avait quelque chose d'assez jubilatoire, cela dit.^^
Mon petit bémol réside dans la tournure qu'ont pris les événements vers le dernier quart du livre. Ça commençait à être un peu tiré par les cheveux et ce n'était pas vraiment le développement que j'attendais, mais la fin m'a satisfaite tout de même.

J'ai réalisé en cours de lecture que R. F. Kuang, 29 ans aujourd'hui, avait 22-24 ans lors de ses premiers succès littéraires et ses livres suivants ont toujours eu bonne presse. Impressionnant !

J'ai vraiment très envie de lire Babel maintenant ! Une LC est d'ailleurs prévue en janvier si jamais.^^

LC avec Sunalee.

L'autrice
Rebecca F. Kuang, plus connue sous le nom de R. F. Kuang, née en 1996 à Canton en Chine, est une autrice sino-américaine de fantasy et de fiction contemporaine. Elle a émigré avec ses parents aux États-Unis à l'âge de quatre ans et a grandi à Dallas, Texas. Elle est notamment l'autrice de la trilogie La Guerre du pavot et du roman Babel, multiprimé.

40 commentaires:

  1. La triche .. une faiblesse humaine fort répandue. Pourquoi pas s'il croise ma route.

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    1. La tentation était grande, il faut dire, et dans ces cas-là, on se trouve toujours toute sorte d'arguments pour légitimer nos actes à nos yeux.:)

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  2. Incroyable, Babel et Yellowface sont à la bibli! (OK, empruntés...) Si je mets la main sur Babel, si j'accroche bien, pourquoi pas LC? Cette histoire d'appropriation culturelle, ça me titille et m'agace à la fois. ^_^

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    1. C'est un sujet délicat, qui a sa légitimité, mais certains sont extrêmes dans leur prise de position et des fois, ça vire à l'absurde. Le pire quand même, à mon sens, c'est quand on attend d'un auteur racisé qu'il n'écrive que sur sa culture, ou celle de ses ancêtres. C'est un peu "limitant"...
      Top pour Babel ! J'espère que tu accrocheras.^^

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  3. Je crois que tu es un peu plus positive que moi. J'ai aussi commencé à m'ennuyer vers la fin et j'ai accéléré ma lecture pour terminer au plus vite le roman. Mais c'est une belle satire du milieu de l'édition (et du monde contemporain). Quant à lire Babel, je ne sais pas trop...

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    1. Oui, je suis beaucoup plus enthousiaste que toi même,^^ j'ai vraiment beaucoup aimé ce livre, l'intrigue et ses thématiques. Il y a même un petit côté thriller que je n'ai pas évoqué, avec ses rebondissements et retournements de situation. J'ai trouvé cette histoire vraiment addictive et comme tu dis, c'est une belle satire du milieu de l'édition et de notre monde, à l'ère des réseaux. Seule la fin m'a un peu fait tiquer, mais c'est quand même bien passé.

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  4. Ce roman ne me tente pas du tout, désolée... Je ne crois pas à une autrice qui "a rêvé d'être publiée, lue et adulée par des milliers de lecteurs." Je suis peut-être idéaliste, mais il me semble que pour les auteurs que je lis, ce n'est pas leur raison d'écrire... Mais c'est peut-être vrai de certains auteurs qui croient qu'il suffit d'avoir beaucoup de followers sur les réseaux sociaux pour avoir du succès.

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    1. C'est le personnage que l'autrice a choisi de mettre en scène et c'est sûr qu'elle ne plaira pas à tout le monde ou qu'elle en désillusionnera beaucoup,^^ mais si ses traits sont un peu poussés, je la trouve plutôt crédible et fidèle à la réalité du milieu. Il suffit de penser à ces auteurs qui peinent à trouver éditeur et qui nous sollicitent pour être lus et avoir un billet (positif) sur leur livre.

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  5. Intéressant cette thématique sur le plagiat. Et cela permet aussi de voir que le monde de l'édition peut être aussi un monde plein de requins. Je connais une personne qui a travaillé quelques mois chez un éditeur, et elle est partie car elle était horrifiée par certaines pratiques et relations avec les auteurs, pas toujours respectés... Et on le voit aussi à travers les soucis d'Antoine Dole, alias Mr Tan, l'auteur des Mortelle Adèle, qui a de gros problèmes avec Bayard. C'est assez hallucinant parfois !

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    1. L'édition est une industrie. On parle bien de l'industrie du livre. Donc oui, il y a pas mal de requins, comme tu le dis si bien, au milieu de purs passionnés, c'est la triste réalité. Les coulisses du livre, ce n'est pas toujours très glorieux, c'est clair, et ce roman l'illustre vraiment bien. Bon, toutes les maisons d'édition ne sont pas à mettre dans le même panier, hein.^^

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  6. Tu es plus enthousiaste que Sunalee mais pas totalement convaincue. Babel semble intéressant mais je préfère limiter un peu les LC pour l'instant.

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    1. Ah si, moi j'ai été complètement conquise par ce roman et cette autrice.^^ J'ai juste émis un bémol sur la tournure des événements vers la fin, mais ça ne m'a pas empêchée d'apprécier ce roman dans son ensemble. Je comprends pour les LC, pas de souci.:)

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  7. Oooohhhh cela me donne vraiment envie...ooohhh oui didonc a lire alors....

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    1. Franchement oui, je trouve que ça vaut absolument le détour, ne serait-ce que pour les thématiques abordées et les réflexions que ça suscite.

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  8. je l'ai aussi dans ma PAL et j'aurais du le lire depuis longtemps, du coup je le note (et la LC pour Babel)

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    1. Mais oui, il me semblait même que tu étais de la partie pour la LC, mais le projet remonte un peu, ça a dû passer sous la trappe.^^ Super pour Babel, je ferai un rappel vers décembre.

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  9. Je ne connais pas l'autrice et d'ailleurs mes médiathèques non plus. D'un autre côté même si le sujet est intéressant et peu traité finalement, ce n'est pas une urgence vu tes bémols. Je note plutôt la trilogie "La guerre du pavot".

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    1. La trilogie me tente bien aussi, mais bon, je ne me sens pas de me lancer dans une trilogie. Tout dépend de l'épaisseur des tomes, mais bon, pour l'instant, mon objectif, c'est Babel qui est déjà un beau pavé.^^

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  10. De mémoire, je l'avais apprécié mais pas autant que je l'espérais. Néanmoins, comme toi, les thématiques abordées, que tu expliques très bien, m'avaient semblé intéressantes et sujettes à réflexion.

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    1. Tu avais peut-être trop d'attentes. Ce livre avait bien fait le buzz. Je ne m'attendais pas du tout à cette intrigue et ses thématiques pour ma part et ça a été une très bonne surprise.

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    2. Je pense en effet que vu la communication autour de ce roman, j'avais pas mal d'attentes. Parfois, c'est plus prudent de laisser passer l'engouement avant de se lancer dans un livre...

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    3. Oui, c'est ce que j'ai fait finalement et le résultat est concluant.:)

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  11. Pas une nouveauté, mais tentant... La couverture m'avait déjà intriguée.

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    1. J'aime beaucoup la sobriété de cette couverture et elle est très parlante en même temps. Contente d'avoir enfin lu ce livre et de savoir de quoi il retourne exactement.

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  12. La thématique des attentes vis-à-vis des auteurs racisés m'intéresse mais elle a été traitée avec tellement de virtuosité par Percival Everett et Mohamed Mbougar Sarr... que je passe !

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    1. J'avais adoré le Everett (je suppose que tu parles d'Effacement) et eu quelques coups de mou avec le Mbougar Sarr, mais ce que j'ai trouvé intéressant ici, c'est que, même si on est "encore" dans la catégorie "auteurs racisés" thématiquement, on explore cette fois la problématique d'une communauté bien différente de la communauté noire et moins exposée comme subissant elle aussi une forme de racisme systémique. En cela, le titre m'avait interpelée aussi, car si on connaît bien le blackface, on entend moins parler de son pendant asiatique, le yellowface.

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    2. Oui, c'est bien à Effacement que je pense. Et ta remarque est très juste, c'est vrai que cette thématique du racisme envers les personnes d'origine asiatique n'est pas si souvent abordée.... on verra..

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    3. Ça commence à l'être de plus en plus, mais ce n'est pas encore vraiment entendu. Je pense qu'en partie, la raison pour laquelle ça commence à véritablement se manifester aujourd'hui, c'est que ce sont les troisièmes générations totalement assimilées qui ressentent le besoin de s'exprimer sur le sujet alors que leurs parents et grands-parents étaient encore dans la reconnaissance et préféraient faire profil bas.

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  13. Une intrigue qui peut être intéressante. Je note le nom de l'auteure.

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    1. Si jamais tu veux te joindre à la LC Babel pour la découvrir...;)

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  14. j'en avais entendu parler à sa sortie, intéressant manifestement. L'appropriation culturelle est un concept intéressant, mais malheureusement dévoyé par certains. Dans le cas des acteurs et actrices par exemple, je trouve ça vraiment idiot, car finalement, le rôle d'un interprète c'est bien de rentrer dans la peau de quelqu'un d'autre...je crois que c'est Kirsten Stewart ou Scarlet Johanson qui avait dû abandonner un rôle d'une personne transgenre pour cette raison.
    Imaginer un auteur qui n'écrirait que sur ce qu'il connaît/a vécu, c'est quand même sacrément réducteur.

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    1. Oui, je suis d'accord, parfois ça frôle carrément l'absurde. Mais, dans le cas des acteurs, je comprends qu'on s'interroge sur le fait que l'industrie préfère recruter des acteurs bankable pour un rôle de trans par exemple, plutôt que des acteurs trans qui galèrent déjà pour avoir un rôle quelconque. Parce que ce qui dérange réellement dans l'appropriation culturelle, ce n'est pas tant le fait "d'usurper un rôle", c'est le fait que l'industrie, ou une communauté dominante, tire profit de la culture d'une minorité et se fasse des sous sur leur dos, sans reconnaître ce qu'elle doit à cette minorité (pas forcément financièrement en plus), les invisibilisant complètement.

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  15. originale comme intrigue, en tous cas, elle me plaît bien d'emblée. Allez, notons, je serais curieuse de connaître suites et dénouement.

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    1. Et moi je serais très curieuse de connaître ton avis sur ce roman !^^

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  16. J'ai lu dernièrement un livre sur ce thème et comme tu n'es pas complètement convaincue, je ne vais pas m'attarder.

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    1. J'ai juste émis un petit bémol sur la tournure des événements sur la fin, mais si c'est assez pour te détourner, pas de souci.;) J'aurais été curieuse de connaître le titre de ton livre sur ce thème, mais peut-être en parleras-tu sur ton blog.

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  17. Un sujet très très tentant, je note, tu es convaincante !

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  18. Je suis très contente de voire ton enthousiaste, car ce livre est déjà sur ma pile, acheté en même temps que Babel sans trop savoir de quoi celui-ci parlait. La thématique du monde du livre m'attire bien, avec cette vision américaine. Ce sera pour 2026...

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    1. Babel est prévu pour 2026 pour moi aussi.:) C'est une autrice qui vaut vraiment le détour en tout cas. Je pense que tu as fait un bon investissement.;)

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