dimanche 14 octobre 2018

NOIR SUR BLANC


NOIR SUR BLANC

traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré

"Un personnage réel assassiné dans un roman. Une maîtresse sans nom qui disparaît sans laisser d'adresse. Une liaison piquante et secrète. Un meurtre privé de mobile et d'alibi. Un inspecteur incrédule, grand lecteur du romancier incriminé. Un dénouement saisissant."

Ces premières lignes de la quatrième de couv n'ont pas manqué me rendre ce roman intrigant, voire indispensable. Je l'avais par ailleurs déjà repéré quelques mois auparavant sur un blog (mais lequel, je ne me souviens plus), à moins que ce ne soit sur un site (mais lequel bis), et déjà il me titillait.
Une intrigue impliquant un écrivain, un personnage réel assassiné dans son roman, la perspective d'une enquête complexe, les arguments étaient assez lourds pour que je ne résiste pas longtemps.
Je n'avais jamais rien lu de cet auteur, Jun'ichirô Tanizaki, car malgré mon attrait pour la littérature japonaise, j'imaginais celle du début du 20è siècle un peu guindée, littéreuse, cérébrale, disons-le, barbante, à quelques exceptions près, tel Sôseki.

Erreur sur toute la ligne, à moins que Tanizaki ne soit une autre exception, ce roman de 1928 publié pour la première fois en France cette année est juste jubilatoire, le style de l'auteur délectable. Rien de magistral mais avec lui, on rentre tout de suite dans le vif du sujet sans chichi. C'est brut, c'est frais, c'est direct, je me suis régalée dès les premières lignes. J'avais l'impression de lire quelque chose de très moderne dans le ton, les réflexions, les faits, et surtout, ce roman est surprenant d'originalité (pour l'époque, qui plus est), captivant et drôlissime, je ne m'y attendais absolument pas. Quel régal du coup !

S'il se dévore comme un polar, on est cependant davantage dans un roman noir agrémenté d'humour et d'une bonne dose de cocasserie où l'on suit les tergiversations et (més)aventures d'un écrivain décadent en proie au doute constant, à l'indécision, et qui n'arrête pas de se faire des noeuds dans la tête. Qu'est-ce qu'il m'a fait rire d'ailleurs ce Mizuno ! J'ai vraiment adoré ce personnage de l'écrivain.
Toute l'intrigue est prétexte à explorer les mécanismes de l'écriture selon la méthode Tanizaki, et une réflexion sur les illusions de la littérature. Un roman plus riche, subtil et profond qu'il n'y paraît, avec une fin assez déroutante qui ne m'aura cependant pas totalement convaincue (un goût de trop peu, de "je reste un peu sur ma faim", de "j'aurais espéré un autre dénouement") mais dont j'ai apprécié l'audace et le côté facétieux. Cet auteur est un sacré filou et plaisantin, un peu foufou dans sa tête, et ça me plaît bien.

Des extraits :
"Montre un peu plus de respect pour les artistes, au lieu de plier le dos devant Harada ! Non mais tu me prends pour qui ? Je suis un homme de lettres, moi ! Dans la dèche, peut-être, mais encore droit dans mes socques !

"- Et tu as donc trouvé le bonheur à la campagne...
- Pas tant que ça... fit-elle avec un sourire résigné.
- Mais plus heureuse que quand tu étais avec moi, tout de même.
- Pour ça oui.
- Dans ce cas, c'est le bonheur, disons.
- Ce n'est pas parce que c'est mieux qu'avec toi qu'on peut parler de bonheur. Avec toi, j'étais si malheureuse.
- Voilà une façon délicate de dire les choses, au moins !"

Une excellente surprise que ce roman qui me fait découvrir un auteur japonais vers lequel je reviendrai sans aucun doute !

L'auteur
Du Tatouage, à Bruine de neige, Tanizaki Jun'ichirô (1886-1965) a revisité toutes les pièces de l'immense maison du roman, en véritable possédé de l'écriture. Si on a souvent eu tendance à le suivre dans la chambre des femmes et du désir sexuel, ses textes sont des machines d'observation et de construction, au service de sa passion pour les langues et les cultures, occidentale, chinoise, autant que japonaise. Tanizuki occupe le sommet de la littérature mondiale à la recherche de l'altérité.

22 commentaires:

  1. Hé, moi aussi je freinais devant la littérature japonaise classique, me voilà convaincue ! Vite, je note !

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    1. En y réfléchissant bien, il n'y a que Kawabata pour l'instant qui ne m'a pas vraiment réussi. Et je redoute aussi Mishima que je n'ai pas lu encore. Pour le reste, c'est toujours plutôt bien passé (enfin, je n'ai pas tout exploré non plus), mais il y a un peu de tout en réalité dans la littérature japonaise classique (au sens large).

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  2. J'ai déjà lu cet auteur mais pas ce titre, il a écrit aussi des textes érotiques non ?

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    1. Je crois qu'il explore pas mal le désir sexuel dans ses oeuvres mais elles ne sauraient être réduites à cela.

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  3. Bon, je pars de très loin car moi c'est sur toute la littérature japonaise que j'ai un a priori. Trop lent, trop contemplatif, trop bizarre, trop loufoque parfois, trop surréaliste.
    Bizarrement, à la lecture de ton billet, je serais presque tentée. Une chance que ça me plaise à ton avis?

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    1. Un peu trop quoi.^^ Moi j'aime bien parce qu'elle a quelque chose de dépaysant, déroutant parfois, un peu "extraterrestre" même tellement leurs codes sont autres, mais aussi terriblement familier. On ne saurait vraiment la cantonner à un style ou une atmosphère, il y a un peu de tout, c'est japonais quoi.;-) Mais le point commun, c'est que c'est quasi toujours étrangement envoûtant.
      Je pense que tu pourrais te lancer dans celui-ci, pour moi il n'y a pas grand risque que ça te déplaise, et tu pourrais t'aventurer aussi dans Haruki Murakami (mais bien choisir les titres pour une première approche).

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  4. Je n'y connais que dalle en littérature japonaise, qu'elle soit moderne ou classique. J'ai ben deux ou trois Picquier qui traînent dans ma PAL, je devrais me faire un petit mois japonais tiens. Voilà un billet bien tentant pour entamer une exploration.

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    1. Ah mais oui, un petit mois japonais ! Il me semble que c'est proposé dans le courant de l'année, mais je ne sais plus par qui. Je n'y participe pas car je lis assez régulièrement japonais. Je guetterai tes lectures si tu te lances. Je suis toujours avide de découvertes côté littérature japonaise.

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  5. J'ai peu lu de polars japonais mais je les trouvais très violents. Un avec de l'humour ? Je note :-)

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    1. Je ne catégoriserais pas vraiment ce roman-ci de polar, même si ça peut y faire penser. En tout cas, je le recommande vivement !

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  6. Je n'ai encore lu aucun roman japonais. Je ne connais pas celui-ci. Bonne semaine.

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    1. J'espère que tes prochains thèmes te donneront l'occasion d'explorer la littérature japonaise.^^ Bonne semaine.

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  7. (j'émerge d'un week end opéra, y compris à Paris)(quel temps hier, tout le monde dehors!)
    Bon, ton Tanizaki là, ça m'intéresse de voir ce que ça donne, ma bibli en a plein, deux pléiade carrément (!) et un "Le chat, son maître et ses deux maîtresses" assez prometteur, non? ^_^

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    1. Ça augure bien, oui, un titre pareil.^^ Mais j'ai l'impression que c'est une nouvelle dans un recueil. Pourquoi pas après tout, il y a de très bons avis.
      (aaah l'opéra pour toi, c'est le swing pour moi. Ce weekend, j'ai un stage "Wonderfollow", haha !)

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  8. C'est pénible ces fins au goût de trop peu, j'ai l'impression de ne lire que ça en ce moment.

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    1. Bon, ça va, je n'étais pas non plus frustrée mais j'avais espéré un dénouement un peu plus décoiffant.:-) Ceci dit, c'est vrai qu'il y a beaucoup de romans qui déçoivent un peu par leur fin, comme une paresse d'auteur.

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  9. comme certains (beaucoup?) je me méfie de la littérature japonaise mais là, tu me tentes bien. J'avais déjà testé le polar japonais avec Out de Kirino que j'avais aimé.

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    1. Aaah, Out, j'avais adoré ! Bon, là je reprécise encore une fois, ce n'est pas vraiment le polar classique pur et dur. L'intrigue est surtout prétexte à explorer les illusions de la littérature à travers les (més)aventures de l'écrivain de ce récit.
      Je ne pensais pas qu'il y avait autant de gens qui se méfiaient de la littérature japonaise.^^

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  10. Bonjour A_girl_from_earth, rien que la photo de couverture, ça me donne envie de découvrir ce roman dont je n'avais pas entendu parler. Bon dimanche.

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    1. Bonsoir Dasola, c'est vrai que cette couverture a quelque chose de magnétique et d'intrigant (contre toute attente). Bon début de semaine.

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  11. Ah ben, ça me tente bien aussi ! j'avoue que ma sacro sainte littérature française contemporaine me lasse parfois et j'ai envie d'autre chose (même s'il va bien falloir que j'écume ma PAL hein ?! ) C'est dingue tout de même qu'un roman mette presque 100 ans à être traduit et publié en France ! Je me demande comment se passe "le réveil de quelqu'un", ce qui en est à l'origine !

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    1. Ah, il y en a plein des livres comme ça. Beaucoup de romans cultes dans leurs pays, ou même juste excellents, mais qui ne passent pas les frontières à moins d'un éditeur un peu culotté ou qui veut bien sortir des sentiers battus, parce que le lectorat susceptible d'être intéressé n'est pas si nombreux en France. Il faut dire que la France ne manque pas d'écrivains, et côté littérature étrangère, il y a déjà une belle représentation. On a de la chance d'ailleurs d'avoir déjà autant de choix et de possibilités de découvertes.

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