( LIMPIA )
traduit de l'espagnol (Chili) par Anne Plantagenet
Repéré lors de la dernière rentrée littéraire, j'ai tout de suite été attirée par ce roman chilien qui se présentait comme "le monologue d'une domestique qui retrace, dans un récit lucide, impitoyable et brutal, les étapes menant au drame qui fera s'effondrer le décor d'une vie "propre" ".
Drame qui est annoncé dès les premières pages :
"La fillette meurt et elle reste morte, quel que soit le début."
Une critique presse et libraires très enthousiaste, mais des avis de lectrices de ma connaissance moins dithyrambiques que je ne m'attendais, de l'ordre du 3/5 étoiles sur Goodreads par exemple, me l'ont toutefois rendu moins urgent. Au vu de ma PAL, j'ai même failli abandonner l'idée de le lire. Heureusement, le Printemps latino m'a donné un bon prétexte pour le caser tout de même et vraiment, aucun regret. Pour ma part, c'est une très belle découverte côté Chili (mes attentes étaient très basses) et j'ai vraiment été agréablement surprise.
D'emblée, j'ai aimé le ton de cette employée de maison, un peu bravache, et sa façon de relater les faits. Elle s'adresse à un auditoire invisible (imaginaire ?) dont on a l'impression de faire partie. Et puis ce drame. Que s'est-il réellement passé ? Est-elle coupable ?
"Je m'appelle Estela, vous m'entendez ? Es-te-la Gar-cí-a."
"Cette histoire a plusieurs débuts. C'est même ce qui la constitue, j'oserais affirmer. Mais dites-moi, vous, ce qu'est un début. Expliquez-moi, par exemple, si la nuit arrive avant ou après le jour, si on se réveille après avoir dormi ou si on dort parce qu'on a trop veillé."
"La seule certitude, c'est le dénouement [...]. Et le dénouement de cette histoire, vous voulez vraiment le connaître ? La fillette meurt."
À travers son récit, c'est à un véritable choc des classes qu'on assiste, dans une société fracturée par les rapports de domination et les injustices sociales. Pour échapper à une misère certaine dans son Sud natal, Estela a rejoint la capitale chilienne et postulé comme domestique à demeure chez un couple bourgeois et leur fillette. Son histoire et ses anecdotes sont l'occasion d'observer cette famille et leur mode de vie de l'intérieur (et ça, c'était assez jubilatoire), mais aussi de prendre la mesure de la pénibilité de son quotidien. Sept ans de travail invisible, de tâches ingrates, sans reconnaissance et toujours avec des accusations à peine masquées. Deux mondes qui n'ont quasi rien en commun sous le même toit, le couple avec leurs problèmes de riches et elle avec ses tracas familiaux et financiers.
"Madame est venue me chercher dans la cuisine et m'a demandé de venir chanter "joyeux anniversaire" moi aussi. Je ne me souvenais pas qu'il fallait chanter dans la description de ce travail. C'est une blague, pas d'inquiétude. Une de ces blagues qui servent à dire la vérité."
Parallèlement, on suit en filigrane l'actualité du Chili, un pays alors en ébullition, à travers les infos TV, comme une sorte de mauvais rêve lointain, qui rattrape petit à petit leur réalité : mécontentement, dettes, files d'attente dans les hôpitaux, manifestations étudiantes, agressions, violence des délinquants...
C'est un récit qu'on lit aussi un peu comme un thriller psychologique alors qu'on se demande tout le long : mais quelle est la situation ? A-t-elle tué cette fillette ? Comment ? Pourquoi ? A-t-elle été arrêtée ? Est-elle en prison ? À l'hôpital ? En cellule psychiatrique ? À qui s'adresse-t-elle ? À la police ? Des jurés ? Ou est-ce son imagination ? Se parle-t-elle à elle-même ? Doit-on la croire ?
J'ai aimé, en tout cas, l'impression qu'elle se livrait directement à nous, lecteurs. Et avec quel cynisme ! J'ai vraiment aimé son ton un peu moqueur, son sens de la dérision et ses vérités qui claquent. On sent une certaine rancoeur, une colère sourde même, contre l'injustice de cette vie qu'elle n'aurait pas choisi si cela avait été possible. Parler, être écoutée, lui permet d'exister à travers ses mots, elle qui a finalement été invisibilisée si longtemps.
"Je vous ai dit que cette histoire avait plusieurs débuts. Elle a commencé le jour où je suis arrivée et chaque jour où je n'ai pas quitté cette maison."
Alors, coupable ou non ? À vous de vous en faire une idée en l'écoutant à votre tour.^^
LC avec Sunalee.
L'autrice
Alia Trabucco Zerán, née au Chili en 1983, est écrivaine et avocate. Son premier roman, La Soustraction, a été nommé par El País dans la liste des dix meilleurs premiers romans de 2015 et sélectionné pour l'Internationale Booker Prize 2019. Son roman Propre, publié en espagnol fin 2022 et traduit dans 16 langues, a été récompensé du prix Femina étranger 2024.
Plutôt intrigante cette histoire. Ça se passe sous Allende ? Je le note, mais en version papier. Je n'accroche pas aux audio-livres.
RépondreSupprimerIl me semble que c'est plutôt contemporain. Sinon je ne l'ai pas lu en version audio mais en numérique. Je parlais "d'écouter" l'employée de maison, car c'est finalement l'impression que l'on a en lisant son monologue.;)
SupprimerBon, c'est à la bibli, et disponible. Arriverai je un jour à participer à ce printemps? ^_^
RépondreSupprimerJ'ai vu dans le récap que tu avais lu Kramp. C'est déjà pas mal.^^ D'ailleurs il est aussi dans ma PAL. J'espère pouvoir le caser en juin.
SupprimerJe l'ai lu aussi pour une lecture autour du Chili. Si j'avais su qu'il y avait une LC, j'aurais rédigé un billet car voilà bien 15 jours que je l'ai fini et toujours rien écrit...
RépondreSupprimerÇa a été une LC spontanée. Sunalee a vu sur Goodreads que je le lisais, elle l'avait dans sa PAL, et hop, la LC s'est calée à peine 15 jours après.^^ Bah, si cette lecture ne t'a rien inspirée, il ne faut peut-être pas forcer.;)
SupprimerHum, tu es dure avec nous ! Quel suspense ! Je suis contente que le challenge ait été l'occasion pour toi d'exhumer ce roman et de l'apprécier. Merci pour ta participation.
RépondreSupprimerOui, je suis bien contente d'avoir cédé à la curiosité malgré tout et surtout, d'avoir véritablement apprécié cette lecture alors que je m'attendais à être un peu déçue. Ton challenge ne pouvait pas mieux tomber.;)
SupprimerTu as plus aimé que moi ! C'était un peu trop froid pour moi, et ce n'est donc pas non plus ce livre qui me fera aimer la littérature chilienne.
RépondreSupprimerAh j'ai vraiment aimé la voix de la narratrice et comme je disais chez toi, j'ai trouvé que la froideur ressentie servait bien le récit. Pour ma part, c'est une autrice que je continuerai de suivre.^^
SupprimerBon, je comprends que ce livre a des qualités, notamment pour le suspense, bien entretenu, mais je constate aussi, comme toi, qu'il fait l'objet d'avis souvent mitigés... je passe donc.
RépondreSupprimerJ'ai l'impression que ces lecteurs attendaient autre chose de ce récit, mais l'autrice a choisi une autre voie, que j'ai trouvé plus intéressante et (car ?) perturbante.
SupprimerC'est en effet bien intrigant, et je me demande bien à qui s'adresse Estela, et ce qui s'est vraiment passé. Et bien sûr, les réflexions et critiques autour de la situation au Chili doivent être aussi intéressantes. Tu as titillé ma curiosité en tout cas.
RépondreSupprimerN'hésite pas s'il croise ton chemin. Je serais curieuse de ton avis sur ce roman.:)
SupprimerComme toi, un premier repérage a été suivi d'avis plus mitigés... C'est aussi l'histoire un peu semblable à celle de "Chanson douce" de Leïla Slimani qui me freinait. Grâce à ton avis, si je le trouve en médiathèque, je le prendrai volontiers.
RépondreSupprimerFigure-toi que je n'ai jamais été tentée par Chanson douce^^ parce que là, c'était présenté clairement comme le meurtre d'enfants par une nounou et ça m'avait refroidie d'emblée. Ici, c'est plus ambigu et ce qui m'a plu, c'est que ce n'était pas les confessions d'une meurtrière, mais le récit d'une domestique, narratrice des faits. Très curieuse de ton avis si tu le lis !
SupprimerVraiment pas trop envie de le lire....vivant dans cette societe cela risque de m'enerver....pas vraiment envie de m'enerver en ce moment....rien avance dans ce pays rempli de privilegie.e.s...en tout cas tu peux continuer sur ce sujet avec le film "la nana" de Sebastián Silva....;)
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas ce film. Merci pour la recommandation !:) Ouhlala, à te lire, ça a l'air vraiment tendu la situation au Chili.
SupprimerBin on se croirait un peu avant la revolution francaise avec ses peu de privilegies et le peuple qui trime....;)
SupprimerAh malheureusement, c'est le lot de beaucoup de pays...:(
SupprimerSaut à la bibli aujourd'hui et ... il était là sur la table, bien en vue. devine ce que j'ai fait?^_^
RépondreSupprimerExcellent ! Eh bien, voilà, ta participation au printemps latino est toute trouvée.^^ J'ai hâte de lire ton billet !
SupprimerTes romans viennent vraiment du monde entier !
RépondreSupprimerJ'avoue que j'ai une curiosité forte pour la littérature étrangère.:)
SupprimerC'est donc un roman qui divise pas mal et je trouve ça plutôt intrigant. Je ne vais pas en faire une priorité mais si je le croise au détour d'une visite en bibliothèque, je ferai sans doute comme Keisha 😉
RépondreSupprimerCe n'est pas une lecture confortable, il y a quelques éléments déroutants, une ambiance un peu bizarre du fait du contexte du récit, la fin peut laisser perplexe aussi^^, et je pense que ça joue dans l'appréciation qu'on peut avoir de ce roman, mais j'y ai bien adhéré. Très curieuse de ton avis si tu le lis.;)
SupprimerToi non plus, tu ne parles pas du chien ^-^... Ma grande interrogation sur ce roman ... Pour la mort de la petite fille, j'ai la réponse, par contre.
RépondreSupprimerNon, je ne raconte jamais toute l'intrigue pour laisser le plaisir de la découverte aux éventuels lecteurs, mais oui, le chien est clairement central.^^ Je pense que la mort de la fillette s'interprète comme on a envie de le comprendre, non ?^^ Ce qui m'interroge surtout, c'est, qu'est-il arrivé à la domestique en fin de compte ? Et puis finalement, on n'a qu'un point de vue dans l'histoire, ça pose question aussi.
SupprimerJ'apprécie quand un personnage s'adresse aux lecteurs ou à une personne sans qu'on ne l'identifie à condition que cela s'intègre bien à l'histoire comme cela semble être le cas ici. Quant à ce choc des classes , il m'intéresse surtout quand il est évoqué dans un pays dont je ne connais pas grand-chose.
RépondreSupprimerOui, c'est toujours très efficace les histoires où on a l''impression que le narrateur s'adresse au lecteur. Ça l'implique d'emblée dans l'intrigue, c'est assez grisant comme sensation.:)
SupprimerJe l'ai noté depuis qu'il a eu le prix Femina étranger mais je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire. Tu me donnes envie de le réserver s'il continue à être indisponible dans ma médiathèque en ville...
RépondreSupprimerFranchement, je considère ça comme une chance de pouvoir découvrir une voix chilienne, féminine qui plus, ET contemporaine, sur des thèmes autant universels que liés aux problématiques du pays. Si tu peux le réserver, n'hésite pas !;)
Supprimeravoir lu Sunalee avant, ton avis est étonnant beaucoup plus enjoué et c'est tant mieux. Je l'ai vu circuler pas mal en version anglaise, alors un jour peut-être (ou en espagnol)
RépondreSupprimerJ'avoue que je m'attendais tellement à être déçue ou, au mieux, à trouver ça sympa sans plus, que j'ai été plutôt agréablement surprise de réaliser que je prenais franchement plaisir à cette lecture et je ne regrette vraiment pas cette découverte.:)
SupprimerJe m'attendais à un roman plus léger au vue du titre et de la couverture. Il n'en fut rien.
RépondreSupprimerTiens, c'est drôle. La couverture ne m'avait rien évoqué de léger, elle m'avait juste intriguée.^^
SupprimerJ'ai moi aussi entendu tout et rien sur ce roman. Comme quoi une bonne lecture s'impose pour se faire son avis.
RépondreSupprimerLa perception du livre dépend pour beaucoup des attentes qu'on peut en avoir. Je n'en attendais (plus) rien et j'ai été agréablement surprise. Oui, dans ces cas-là, le mieux, c'est de le lire et se faire son avis.:)
SupprimerIntrigant ce livre. Et puis un auteur contemporain (que je ne connais pas), c’est intéressant ! Je le note.
RépondreSupprimerUne autrice même^^, c'est ce qui a redoublé mon intérêt pour ce roman. Très curieuse de ton avis !
SupprimerJe l'avais repéré aussi lors de la rentrée, sur je ne sais plus quel blog. Tu remets une couche !
RépondreSupprimerPersonnellement, j'ai beaucoup aimé, mais les avis sont assez variés suivant les attentes.
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