mardi 17 juin 2025

LA CITÉ AUX MURS INCERTAINS

 
traduit du japonais par Hélène Morita
avec la collaboration de Tomoko Oono

Malgré quelques déceptions avec ses derniers romans, je reste fidèle à Haruki Murakami, auteur japonais chouchou depuis que je l'ai découvert il y a bien vingt ans avec La Fin des temps, une véritable révélation pour ma part. Je me suis donc réjouis de son tout dernier paru, au titre aussi énigmatique que prometteur. Quelques mots-clés en parcourant rapidement le résumé m'ont aussi rassurée. Il me semblait retrouver là un univers tout murakamien, comme j'aime : une Cité mystérieuse, une jeune fille disparue, un liseur de rêves dans une bibliothèque, deux êtres en quête d'absolu, une ode aux livres et à leurs gardiens...
J'ai tout de même revu mes attentes à la baisse en lisant quelques premiers avis ronchons côté presse, et j'ai attendu l'appel du livre pour me lancer enfin.

Le contexte de l'intrigue :
Une lycéenne parle à son amoureux (le narrateur) d'une Cité secrète et impénétrable qui a l'air tout droit sortie de son imagination. Il pourrait toutefois s'y rendre s'il le souhaitait. Comment ? Simplement en le désirant [il ne s'embête pas trop, des fois, Murakami 😆]. Un jour, elle disparaît. Obsédée par son souvenir, notre amoureux finit (quelque vingt ans plus tard) par se retrouver à l'intérieur de cette Cité entourée de hauts murs. Le temps y semble suspendu, un gardien veille sur des licornes et les habitants n'y ont pas d'ombre. Notre narrateur a, lui aussi, été séparé de la sienne et officie dorénavant comme liseur de rêves dans une bibliothèque où il a retrouvé la jeune fille. Mais est-ce bien elle ? Elle ne semble pas se souvenir de lui. Cette Cité est par ailleurs bien étrange, comme mue par sa propre volonté et ses propres objectifs. Et que sont ces rêves qu'il doit lire ?

Comme souvent avec Murakami, on pénètre ici dans un univers relativement banal pour basculer vers un univers surréaliste qu'on absorbe de façon tout à fait naturelle, sans trop se poser de questions (au début^^). Il y a toujours ce côté hypnotique quand je le lis, qui, là encore a fait son effet, doublé de cette impression d'errer dans sa tête sans me perdre vraiment, mais sans m'y retrouver totalement non plus. C'est hyper étrange comme sensation, mais j'aime.^^

Comme souvent aussi, on pourrait lui reprocher quelques lenteurs auxquelles on n'échappe pas ici, mais il y a quelque chose d'assez intrigant qui perce à travers ses histoires et ses personnages pour qu'on se laisse porter malgré tout. Il nous mène à son rythme et j'ai suivi sans rechigner, j'ai lu sans soupirer, en y prenant même un étrange plaisir, et pourtant, ce n'est pas ce qu'on pourrait qualifier d'absorbant.
Ce qui m'a marquée de façon moins positive en revanche, ce sont les nombreux ressassements qui s'apparentent presque à du radotage et qui allongent inutilement le récit. J'ai été frappée aussi par quelques facilités d'auteur, ou disons que certains événements se déroulent un peu facilement, sans explication.

Pas mon Murakami préféré, mais pas de réelle déception cette fois. Ses délires d'auteur m'ont paru plus soft, je le préfère quand même un peu plus surprenant, mais en même temps, ça évite les mauvaises surprises.^^ Il y a quelques aspects de l'intrigue que j'aurais aimé voir approfondis ou éclaircis, mais rien de frustrant. Il y avait quelques belles trouvailles et de nombreux éléments qui m'ont rendu cette lecture plutôt agréable.
J'ai beaucoup aimé l'ambigüité concernant la notion du "vrai moi" qui est finalement au coeur de cette intrigue. Est-ce la personne ? Est-ce l'ombre de la personne ? Les chapitres où le narrateur interagit avec son ombre étaient excellents ! J'ai bien aimé la partie "monde la Cité", tout l'imaginaire autour, mais aussi la partie "monde réel" et la façon dont chacune était développée, les histoires qui s'y déroulaient, et la porosité entre ces différentes réalités.

Ce roman m'a rappelé La Fin des temps par certains aspects : les mondes parallèles, les licornes, les histoires d'ombres... Sans surprise, car j'ai découvert dans sa postface que ce livre est en fait sa première réécriture d'une nouvelle écrite à ses débuts et qui ne l'avait pas satisfait. Taraudé par un sentiment d'oeuvre inachevée des années plus tard, il a de nouveau retravaillé cette nouvelle pour accompagner et compléter le travail antérieur, ce qui l'a amené à écrire La Cité aux murs incertains. Je trouve que La Fin des temps se suffisait parfaitement à lui seul, mais je ne suis pas Murakami.^^ Il semble maintenant pleinement satisfait de cette réécriture d'une nouvelle qui l'a hanté quarante ans, soulagé en tout cas, et c'est l'essentiel. 

Extraits
"Je n'avais d'autre choix que d'aller de l'avant en me fiant à mon intuition - une sorte de sens de l'orientation inexplicable rationnellement."

"J'avais invité une femme à dîner et cette femme (après quelques secondes d'hésitation) avait accepté. Cela signifiait-il quelque chose d'important pour moi ? Ou s'agissait-il simplement d'une petite péripétie sans aucun rapport avec l'intrigue principale ? Tout d'abord, existait-il quelque chose comme "une intrigue principale" autour de moi ?"

40 commentaires:

  1. Il est dans ma PAL et je dois dire que ton avis me rend curieuse de l'en sortir. J'ai souvent l'impression de ne pas tout comprendre avec l'auteur mais ce roman semble plus accessible que d'autres. Dans tous les cas, la plongée dans cette cité a l'air immersive malgré quelques radotages :)

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    1. Je pense qu'on a souvent cette impression de ne pas tout comprendre avec lui, car il n'y a rien à comprendre vraiment.😆 Je veux dire par là, il ne me semble pas qu'il essaie de faire passer quelque message qu'il soit, de donner sens à tout prix à ce qui se déroule ou de démontrer quoi que ce soit.^^

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  2. Tu ménages le suspens ;-) Je viens de lire 1Q84 et par moment, j'avais l'impression que tu parlais de ce livre. En tout cas, je note que Murakami, 76 printemps, radote !

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    1. Je l'entends, bien sûr, dans le sens où il se répète beaucoup, et non qu'il tienne des propos décousus^^, mais l'impression que j'avais, c'est que c'était plus pour lui-même que pour nous lecteurs... J'ai raté ton billet sur 1Q84 ! Je vais aller voir ça.

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  3. J'ai un peu de mal avec l'univers particulier de Haruki Murakami, souvent teinté de surnaturel (ce que tu apprécie justement). J'ai lu quelque unes de ses nouvelles mais je ne me sens pas la force de m'attaquer à un pavé de plus de 500 pages.

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    1. Ce n'est pas vraiment le surnaturel qui me plaît en soi, car à la base, j'y suis plutôt rétive, c'est plutôt le fait qu'il arrive à le faire passer pour quelque chose de complètement naturel.^^ Enfin, c'est comme ça que je le ressens. Ah, 500 pages pour moi, ce n'est pas encore un pavé.^^ Mais on est d'accord, c'est plutôt consistant.

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  4. Je n'ai lu aucun livre de cet auteur, mais ton avis me donne envie, tout comme le résumé avec les lecteurs de rêves et les licornes : c'est très intrigant, tout comme le titre.

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    1. Ça pourrait te plaire, mais sans certitude.:) Pour une première découverte de l'auteur, je t'orienterais plutôt sur des romans qui ont davantage fait l'unanimité, tous goûts confondus, comme Kafka sur le rivage, ou Chroniques de l'oiseau à ressort.

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  5. Je ne suis vraiment pas tentée !

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  6. Je n'ai toujours pas lu cet auteur. Ce n'est visiblement pas le meilleur pour commencer.

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    1. Ce n'est pas celui que je recommanderais pour une première découverte en effet. Je te renvoie à ma réponse à Doc Bird.;)

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  7. Bon l'enthousiasme n'est pas franc ! Quelques longueurs, du radotage, une lecture plutôt agréable, pas assez pour que je me lance dans ce pavé !

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    1. J'ai plutôt apprécié sans enthousiasme débordant en effet. Ce n'est pas le roman de Murakami que je te recommanderais à tout prix.;)

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  8. La fin des temps est aussi un de mes titres préférés (avec Chroniques de l'oiseau à ressort et Kafka sur le rivage)... je ne suis pas sûre de lire celui-là, j'ai lu pas mal de bémols à son sujet, et il me reste 2 ou 3 de ses vieux titres à découvrir ..

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    1. Oh, mais nous avons le même top 3 pour Murakami !! J'ai lu tous ses vieux titres pour ma part. C'est plutôt parmi ses derniers qu'il m'en reste à découvrir, mais ce sont des récits courts ou nouvelles. J'en fais moins une urgence.

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  9. Un auteur que j'apprécie. Je n'ai pas lu La fin des temps. Je note ce titre.

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    1. Très curieuse de ton avis si tu le lis.:)

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  10. Et bin un jour...je lirais cet auteur....un jour.....;)

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    1. C'est que ça pourrait te plaire en plus.;)

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  11. Toujours pas lu Murakami... j'ai bien sûr noté Kafka sur le rivage, mais je n'ai encore jamais sauté le pas. 1Q84 me tentait aussi... un jour peut-être. ;)

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  12. Hum, il est capable de délayer, je sais...

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    1. Ah il n'est pas pressé, c'est sûr. Mais j'aime assez son rythme narratif. Ça a un côté zenifiant.:)

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  13. Je ne me suis pas encore décidée à lire celui-ci, je crains la déception... mais comme La fin des temps ne fait pas partie de ceux que j'ai lus, pourtant nombreux, je vais essayer de le trouver d'abord.

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    1. J'ai crains la déception aussi ici, mais ça s'est mieux passé que je ne m'y attendais, ouf ! :) Je recommanderais toutefois La fin des temps en premier donc je te soutiens dans ton choix.

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  14. Tiens, c'est amusant car j'ai appris aujourd'hui qu'il existe désormais une Bibliothèque Murakami au Japon (https://espacelanguetokyo.fr/bibliotheque-haruki-murakami/) comme en clin d'oeil à ce roman! Je n'ai pas lu La fin des temps, et tu m'as donné envie de le faire. Je vise les formats courts chaque fois que c'est possible 😉.

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    1. Ah ben ça alors ! Moi qui suis une inconditionnelle de Murakami, je ne connaissais pas l'existence de cette bibliothèque ! Merci pour la découverte. J'espère que tu auras l'occasion de lire La fin des temps. Je guette ton avis.;)

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  15. Je tenterai un jour cet auteur...

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    1. Mais non ? Ohlala, j'ai hâte de ce jour !

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  16. A 4 jours près, tu aurais opu le mettre dans les Pavés de l'été! ;-)

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    1. Je pense l'avoir déjà précisé chez toi (et c'était pareil l'année dernière), mais je considère les livres comme pavés qu'à partir de 600 pages, or il en fait moins.;)

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    2. Les Pavés de l'été, c'est un jeu qui démarre à 500 , pas forcément ce que tu appelles habituellement "pavé"

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    3. Je l'ai bien compris 😉, mais je me challenge à partir de 600 pages de mon côté, c'est mon choix.

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  17. Je me laisserai tenter c'est certain d'ailleurs je l'ai déjà mis dans mes listes pour ne pas l'oublier...C'est un auteur que j'aime bien finalement lire de temps en temps quand je ne suis pas pressée car en effet lui ne l'ai pas :) Merci pour ta chronique même si ce n'est pas ton préféré tu m'as donné envie de le lire :)

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    1. Avec plaisir ! J'espère te lire prochainement à ce sujet. C'est vrai qu'il n'est pas pressé quand il raconte ses histoires et en même temps, je trouve qu'elles se lisent d'un bon rythme. Je n'ai pas trop traîné à finir ce roman finalement.

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  18. toujours pas lu cet auteur et pas envie pour le moment, mais j'ai noté ceux que tu conseilles

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    1. Je serais vraiment très curieuse de ton avis sur un de ses romans.

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  19. J'adore ton article car il est si complet et détaillé que je commence par me dire "ah, ça ça me plairait" puis je lis un nouveau paragraphe et "ah non ça le fera pas du tout" puis encore "quoi que attends peut-être". Bon. J'ai tellement tergiversé que je ne sais plus que penser !

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    1. Ahaha alors tu as expérimenté quelques effets d'une lecture murakamienne ! Il y a du très bon et du moins bon dans ce roman-ci. C'est loin d'être mon Murakami préféré, mais il ne m'a pas déçue, contrairement à ses tous derniers. Je pense qu'il faut le tenter pour être fixé.;)

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