Ce livre est le récit du séjour de l'auteure, Pauline Hillier, à la Manouba, la prison pour femmes de Tunis. Elle y a été incarcérée suite à une manifestation pour la libération d'une militante tunisienne. Je ne m'y serais peut-être pas arrêtée si je n'avais repéré chez Keisha ces phrases qui m'ont saisie d'emblée :
"D'une bande de tueuses, de voleuses et de petites délinquantes, j'ai reçu la plus magistrale des leçons d'humanité. Moi qui venais en féministe expérimentée (je le croyais), j'ai découvert là-bas ce que la violence patriarcale pouvait produire de plus abjecte, de plus sournois et de plus sombre."
Au départ, je craignais un peu la "petite française middle-class, pleine de bonnes intentions et croyant tout savoir", le personnage horripilant qui allait en faire des caisses et autour de qui tout tournerait. Les premières pages, c'était comme je le pressentais. Elle débarque, elle s'offusque, elle trouve tout horrible. Et ça l'est. Car elle n'est pas venue en touriste et le système carcéral tunisien ne l'a pas été épargnée, loin de là.
Petit à petit, j'ai glissé dans sa peau et commencé à ressentir une forte empathie pour elle, percevant de façon assez vivide la tragédie de sa situation. J'ai aimé la franchise du ton, son humilité aussi, et puis son humour, qui n'était pas surjoué et tout à fait bienvenu. Cet humour non pas décapant, mais salvateur, qui permet de tenir l'horreur à distance, de ne pas sombrer dans la folie.
J'ai beaucoup aimé comment cette expérience pourtant peu enviable lui aura ouvert les yeux sur elle-même et sur la nature humaine, brouillant ses repères, effaçant ses préjugés moraux, lui offrant (et à nous aussi) une belle leçon de vie et d'humanité dans l'adversité.
Et puis bien sûr, au fur et à mesure qu'elle assimile les règles essentielles à sa survie en milieu carcéral et s'intègre dans le clan des femmes, qu'elle y trouve sa place, que les femmes lui confient leur histoire, ce récit est devenu tout bonnement passionnant et bouleversant.
Ces histoires, j'en frissonne encore d'écoeurement, tant l'injustice, la violence et la tyrannie patriarcales envers les femmes sont flagrantes. Des destins brisés, à même pas 20 ans. De nombreuses erreurs judiciaires, mais sans voie de recours. Les histoires de ces femmes et leurs combats pour retrouver leur dignité sont tout simplement déchirants.
J'ai adoré ce récit dont j'aurais pu ressortir démoralisée et qui a presque eu un effet feel-good en me rendant exemplaire et admirable le courage de ces femmes de plus en plus attachantes à mesure qu'on apprend à mieux les connaître et la sororité entre ces prisonnières rejetées, méprisées et abandonnées par la société, qu'on ne se sent pas en droit de juger. J'ai eu l'impression de vivre, à travers ce livre, une expérience humaine unique et forte, bien que terriblement tragique.
Si j'ai apprécié le fait que ce récit soit sans pathos, j'ai toutefois trouvé dommage que l'auteure se laisse parfois emporter par des élans de lyrisme, qui subliment le moment décrit certes, mais l'écrasent un peu aussi, prenant le pas sur le sujet ou l'enjolivant de trop.
Bien qu'inspiré de faits, de lieux et de personnages ayant réellement existé, l'auteure insiste sur le fait que ce récit demeure une oeuvre de fiction, "écrite depuis sa mémoire imparfaite et subjective".
C'est en tout cas un magnifique hommage fait à ces femmes effacées de la société tunisienne, une belle façon de leur permettre d'exister aux yeux du monde. Un incontournable pour moi !
Extraits
"Ici il faut se lever tôt pour ne rien faire de la journée."
"Je sais maintenant qu'il y a peu à attendre de la justice pour nous, les femmes, présumées coupables depuis longtemps déjà, si ce n'est depuis toujours."
Également commenté par Dasola.
Intègre le Défi lecture 2023 (26/30/100) => catégorie 14 (livre ne contenant aucun chapitre ou acte)
L'auteure
Pauline Hillier, née en 1986 en Vendée, est une écrivaine et activiste. Membre du mouvement international FEMEN de 2012 à 2018, elle participe à de nombreuses actions, en France comme à l'étranger. En 2013, elle est arrêtée à Tunis suite à une manifestation pour la libération d'une militante tunisienne. Son roman Les Contemplées lui a été inspiré par son séjour en prison.
Après Keisha, tu donnes très envie de découvrir ce texte.
RépondreSupprimerIl vaut vraiment me détour. Je ne m'attendais pas à être aussi prise par ce récit, en passant par différentes charges émotionnelles fortes.
SupprimerParfait parfait! qu'est ce que tu en parles bien! Tu a vu la bonne claque? C'est ça qui est bien avec les blogs, un billet enthousiaste chez l'une, qui donne envie de lire, puis encore un billet, etc., alors j'espère que ce bouquin fera son chemin, un peu comme Sambre, tu vois.
RépondreSupprimerIl est aussi passé par La Grande Librairie et affiche une belle recommandation d'Augustin Trapenard en couverture. Je pense qu'on n'a pas trop à se soucier qu'il passe inaperçu.;) Beaucoup d'avis dithyrambiques sur Babelio et Goodreads, tout va bien.^^ C'est vrai qu'on ne le voit pas tant que ça sur les blogs, ceci dit, mais on doit être une poignée d'irréductibles, haha !
SupprimerA sa sortie je n'avais pas très envie de le lire, mais billet après billet, l'envie me vient. Je vais attendre le poche.
RépondreSupprimerOn a tant à lire, c'est déjà bien que ce livre ait fini par susciter ta curiosité.;) Enfin, bien, tout dépend du point de vue.^^
Supprimeroui mais je ne suis pas trop univers carceral pourtant il semble vraiment bien....mais non
RépondreSupprimerJe comprends. On a chacun nos limites suivant les thématiques.
SupprimerL'"effet Keisha" a fonctionné aussi chez moi, je l'ai réservé à la médiathèque. J'espère que ce sera une lecture forte pour moi aussi.
RépondreSupprimerJe l'espère aussi et j'en suis même convaincue ! Hâte de te lire à ce sujet.
Supprimerlecture prévue depuis des mois et des mois !!
RépondreSupprimerJ'en ai plein en stock comme ça, des prévues depuis des années même, haha, mais celui-là vaut le coup de passer dans les lectures prioritaires.;)
SupprimerBonjour A_girl_from_earth, merci pour ce billet enthousiaste sur un récit qui m'a cueillie. Si ce qui serait bien, c'est de savoir ce que sont devenues toutes ces "contemplées" depuis la libération de Pauline Hillier. Bonne fin d'après-midi.
RépondreSupprimerBonsoir Dasola, aïe, je doute que ce soit de très bonnes nouvelles. Que certaines y soient encore emprisonnées ne m'étonnerait pas...:( Je me disais bien que j'avais lu un autre billet sur les Contemplées, mais je ne me souvenais plus chez qui. Je rajoute ton lien, les avis enthousiastes sur ce livre sont précieux.:)
Supprimerj'aime beaucoup ces liens qui se créent de blog en blog! ça donne encore plus envie de le lire!
RépondreSupprimerJ'espère avoir le plaisir de te lire prochainement à ce sujet.:)
SupprimerUn peu un Nickel boy au féminin version afrique du Nord actuelle... je note évidemment.
RépondreSupprimerC'est quand même très différent, mais oui, encore un exemple d'oppression qui fait froid dans le dos...
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