vendredi 8 décembre 2023

LE TERRORISTE JOYEUX


traduit du portugais par Maïra Muchnik

Au départ, c'était L'Installation de la peur, un autre titre de l'auteur, Rui Zink, qui avait attiré mon oeil et que je voulais lire il y a quelques années. Présenté comme un texte jubilatoire, grinçant et drôle, j'avais été séduite par l'idée de l'intrigue dans laquelle deux agents avaient pour mission, en application d'une directive gouvernementale, d'installer la peur dans chaque foyer. Ça m'avait l'air assez halluciné pour me plaire.

Finalement, je suis tombée sur Le Terroriste joyeux en premier, et le pitch m'ayant l'air tout aussi délirant et improbable, je n'ai pas hésité à m'embarquer.
Un présumé terroriste est cueilli à la frontière, à sa descente de l'avion, car il transportait des explosifs. Interrogé par un policier, il ne nie pas les faits mais joue les naïfs et se fait son propre avocat avec tellement d'aplomb qu'au fil de l'interrogatoire, le doute s'installe et la situation prend une tournure assez inattendue, aussi gaguesque que déroutante.

J'ai été assez surprise de la forme du récit qui est en fait un dialogue de bout en bout entre ces deux personnages, sans aucun autre élément introductif ou descriptif, l'assimilant presque à une pièce de théâtre dans sa version la plus épurée. C'était d'ailleurs tellement savoureux d'absurdité que je trouvais qu'il y avait par moment des airs d'Ionesco dans les échanges et réparties. Sur la longueur toutefois, ça a fini par partir dans le grand n'importe quoi à n'en plus être drôle, un peu façon l'absurde en roue libre. Le texte était assez court pour que je ne m'en lasse pas tout à fait, mais le personnage du terroriste a fini par bien m'agacer tout de même. 
J'ai bien aimé la surprise de la morale de l'histoire qui m'a achevée (dans le bon sens du terme) tant elle était inattendue. Drôle, absurde et déconcertante à la fois, tout à fait dans l'esprit du récit. 

En bonus, un deuxième texte suit, très court celui-là, intitulé Le virus de l'écriture, plus classique mais tout aussi délicieusement absurde, qui m'a bien amusée, le thème aidant. Là encore toutefois, on sent que sur la longueur, la plaisanterie finirait par lasser.
Un mal sévit, le virus de l'écriture. L'épidémie se propage à grande vitesse et tout le monde se met à écrire. Si cela était plutôt enthousiasmant au départ, le revers, c'est que plus personne n'assume ses fonctions. Les marchés et les magasins sont vides, la pénurie alimentaire menace, l'économie ne tourne plus. Et d'ailleurs, "si tous écrivent, qui reste-t-il pour lire ?"
"Je n'ai rien d'un alarmiste. La Terre a déjà légèrement dévié de son orbite. Et le nombre d'écrivains et de poètes ne cesse d'augmenter de jour en jour. Et le nombre de mots écrits. Et de phrases inventives : courtes, longues, des phrases d'un seul mot ("Il. Dit. Pour. Elle."), des phrases sans virgules sur deux cents pages ("Inutile ici de donner un exemple cela prendrait deux cents pages mais ce petit échantillon suffira peut-être à en donner une idée ou alors le mieux est encore d'occuper au moins une demi-ligne de plus avec cette phrase idiote de telle sorte que l'idée qu'il s'agissait de tenter d'exprimer soit plus claire [...]"), des acrobaties et pirouettes syntaxiques sans queue ni tête."
Une découverte que j'ai appréciée plus pour ce que ces deux courts textes révèlent de la personnalité et de l'univers de cet auteur facétieux en diable que pour les textes en eux-mêmes. 

L'auteur
Né à Lisbonne en 1961, professeur de littérature portugaise et de théorie de l'édition à l'Universidade Nova de Lisbonne, Rui Barreira Zink est l'auteur de récits pour la jeunesse, de scénarios de bande dessinée et de plusieurs romans.

18 commentaires:

  1. Je crois bien avoir "L'installation de la peur" dans ma liseuse. Je me souviens qu'à l'époque en effet, on en disait beaucoup de bien.

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    1. Oui, il a eu un prix d'ailleurs, il me semble.

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  2. Mouais, les terroristes, on s'en passe, même en bouquin.

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    1. Ce livre ne fait pas l'apologie du terrorisme, je te rassure.;)

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  3. Par ces temps troublés, le titre sonne bizarre ! Je ne te sens pas assez emballée pour noter et je ne suis pas sûre d'adhérer à cette dinguerie là.

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    1. C'est sûr qu'il faut être particulièrement adepte de l'absurde, du délirant et du décalé pour se lancer, ce qui est mon cas.;)

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  4. La couverture m'attire, mais ce que tu dis du livre pas du tout. Je passe donc.

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  5. ça a l'air décalé et donc intrigant, du moins pour moi :) Mais c'est vrai que le titre semble déconcertant...

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    1. Je n'ai pas l'impression que ce soit une traduction littérale du titre original qui est "Osso" (et qui est tout aussi déconcertant^^), mais il colle assez bien à l'intrigue.

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  6. Oh oui j'avais adore aussi...lu pendant la pandemie, il a fait un bien fou ce livre...;)

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    1. Je suppose que confiné, on apprécie encore davantage le délire.:)

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    2. vraiment je pense que c'est un plus....oh oui....emprisonnee comme lui et tout un delire...c'est genial..

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    3. C'est un délire qui va même très loin.^^ Moi ça m'a quand même un peu perdue sur la fin.

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  7. Spécial comme titre, un brin provocateur à l'époque actuelle. Bon je vais passer... Car je sors du dernier roman de Fabrice Caro et je pense que je vais avoir la même impression de lassitude...

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    1. Je comprends. D'ailleurs Fabcaro, je ne le lis plus en tant que romancier. Je me contente de ses BD dont j'espace les lectures pour ne pas saturer.

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  8. Comme toi, j'avais été assez surprise par ce dialogue.

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    1. Oui, c'est assez inattendu, et ce tout le long.:)

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