mardi 25 novembre 2025

DARKTOWN


Tome 1 de la trilogie du même nom et j'annonce d'emblée qu'il me tarde déjà de lire les deux tomes suivants !

Repéré sur les blogs il y a six ans par là, j'ai enfin pu le caser, comme quoi, tout espoir est permis.^^ 
Ce qui m'a intéressée d'emblée, c'est le contexte historique : l'Atlanta d'après-guerre (l'intrigue se déroule en 1948) et ses huit premiers policiers noirs. Mais oui, en fait, je n'avais jamais rien lu sur le sujet des premiers officiers noirs aux États-Unis ! Comment s'est passée leur intégration et quid de l'exercice de leurs fonctions dans un contexte racial aussi chargé qu'à l'époque ? L'épigraphe en début de roman donne tout de suite le ton. Un des agents de l'époque, retraité à la fin des années 70, s'exprime ainsi :

"I must tell you, it was not easy for me to raise my right hand and say, 'I Willard Strickland, a Negro, do solemnly swear to perform the duties of a Negro policeman.' "

"J'avoue qu'il ne m'a pas été facile de lever la main droite et de déclarer : "Moi, Willard Strickland, nègre, je jure solennellement d'exercer les fonctions d'un policier nègre." "
Extrait d'un discours prononcé en 1977 par Willard Strickland, retraité, l'un des huit premiers policiers afro-américains recrutés par la police d'Atlanta en 1948.

Bon, pour ce qui est de l'exercice de leurs fonctions, c'est vite réglé : leur périmètre se limitait à Darktown, ainsi que sont désignés les quartiers noirs d'Atlanta, et leur rôle de flic était presque anecdotique, consistant principalement à arrêter les ivrognes et empêcher les hommes de battre leurs femmes. Ils ne pouvaient patrouiller qu'à pied, n'avaient pas le droit d'arrêter des suspects, ni même celui de mettre les pieds dans les locaux de la police. En bref, pas de vrais pouvoirs ni d'autorité. Ils devaient, par ailleurs, se présenter à chaque fois en disant "Negro Officer Untel" (traduit "Agent nègre Untel" en français). Et bien sûr, aucun respect, aucune considération de la part de la grande majorité de leurs homologues blancs qui ne rataient pas une occasion de les humilier (sans qu'ils puissent vraiment riposter).

Pas simple de mener une enquête dans ce contexte ! Surtout que, dans les faits, ils n'avaient pas le droit d'enquêter ! 😅 Non, non, si enquête il devait y avoir, cela était pris en charge par les officiers blancs, même dans Darktown, avec, on imagine bien, assez peu d'intérêt et de sérieux quand cela concernait la communauté noire.

De tout cela, on s'en rend bien vite compte dès les premières pages qui m'ont tendue tellement l'ambiance était réussie, le contexte ségrégationniste parfaitement rendu.
Lucius Boggs et Tommy Smith, notre duo de flics noirs, auraient bien aimé arrêter cet homme blanc grisonnant en état d'ébriété au volant de sa voiture et au côté duquel se trouvait une jeune femme métisse visiblement blessée et apeurée, mais l'officier Dunlow, réputé pour sa brutalité, n'a pas estimé nécessaire de le faire. Lorsque le corps de cette femme est retrouvé quelques jours plus tard dans un dépotoir, Boggs et Smith décident de mener une enquête officieuse... à leurs risques et périls.

À partir de là s'enchaînent les moments inévitablement crispants et haletants qui tiennent du page-turner, et heureusement que l'auteur, Thomas Mullen, insuffle beaucoup d'humour dans ses descriptions et personnages, ça équilibre un peu la tension et c'est franchement bienvenu. Il y a aussi quelques scènes juste grandioses et superbement racontées, ainsi que des dialogues et réparties bien envoyées qui m'ont régalée.
Ce que j'ai trouvé très réussi également, c'est qu'il ne s'agit pas juste d'une enquête qu'on suit de façon classique. Il y a tout le quotidien de la ville et des personnages, avec d'autres affaires qui surviennent et qui dessinent vraiment bien le contexte racial de l'époque.
Autre très bon point, on n'est pas dans le manichéisme et c'est là que ce roman est très convaincant. On peut distinguer des zones grises chez tous les protagonistes, l'intrigue est très réaliste et loin d'être prévisible ou convenue.

Pas de bémol, j'ai adoré ce roman que j'ai trouvé hyper bien fichu et vraiment, l'auteur a réussi à dépeindre l'Atlanta d'après-guerre et son contexte racial avec brio. Tout sonne juste, les personnages sont très réalistes et surtout, nuancés. Non, vraiment, très fort.
Enfin, on sent vraiment l'injustice de certaines situations et l'impuissance des Noirs face aux Blancs. Ce qui rend cette lecture supportable, c'est qu'on sait que les choses ont évolué depuis, heureusement, même s'il reste encore du chemin.

L'auteur, Thomas Mullen, est un Américain blanc, qui n'est pas originaire d'Atlanta, mais qui y était installé depuis dix ans à la parution de son livre. D'après une interview que j'ai suivie sur Youtube, il a fait énormément de recherches sur le sujet, hésitant même à écrire une non-fiction plutôt qu'un roman. Sa trilogie a par ailleurs été très bien accueillie par la communauté noire d'Atlanta, une question qui lui a été posée lors de cette interview et qui ne peut que nous traverser à l'heure des débats et sensibilités autour de l'appropriation culturelle.

LC avec Stéphanie. Également commenté par Cath L.

Intègre qui joue les prolongations jusqu'à la fin du mois.😁

34 commentaires:

  1. Je n'ai rien lu sur ce sujet moi non plus. Avec ce que tu en dis c'est noté. On oublie parfois un peu d'où viennent les Etats-Unis en matière de racisme. C''était hier, pas étonnant que ça ressorte à la première occasion.

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    1. J'espère que tu apprécieras cette lecture au moins autant que moi.:)

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    2. Anonyme c'était moi ...

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    3. Ah merci ! On se pose toujours la question quand c'est comme ça 😆

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  2. Yes! Il existe à la bibli (noté fissa bien sûr) parfait pour le challenge à venir, il va cocher plein de cases. Plus sérieusement, je suis vivement intéressée par le contexte, même si certaines choses vont me faire mal. Tu dis beaucoup de choses, mais je te connais, c'est pour nous tenter : réussi!

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    1. C'est pour le contexte aussi que j'ai été attirée par ce roman, même si je savais que ça risquait de me crisper et m'indigner tout le long. Il se passe tellement de choses dans cette intrigue que j'ai dû n'en révéler qu'un dixième à peine.^^

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  3. Cet auteur, et ce titre en particulier, sont inscrit sur la liste à lire depuis au moins aussi longtemps que sur la tienne... il faudrait que je passe à l'action donc.

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    1. Je me réjouis à chaque fois que j'arrive à piocher aussi loin dans l'historique de mes LAL ou PAL,^^ surtout quand ce sont d'aussi bonnes pioches.

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  4. Voilà un bon roman policier avec un fond sociale comme je les aime. Il y a 6 ans, on ne parlait peut-être pas encore autant des policiers noirs. L'humour de l'auteur me fait penser à Percival Everett, non ?

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    1. C'est encore différent, je dirais que Percival Everett est plus piquant et même bien barré par moment. J'aurai l'occasion de le confirmer avec James que je compte lire d'ici deux semaines par là.:)

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    2. j'ai hâte de lire ton billet sur James. Je voudrais lire le roman de Mark Twain avant

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    3. Je voulais faire comme toi, mais je me connais, si c'est mon prérequis, je ne lirai pas James avant des années et j'ai vraiment envie de ne pas trop tarder. Et puis on connaît les grandes lignes du roman de Mark Twain.;)

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  5. Acheté à la sortie Rivages poche, toujours pas lu, merci pour cette recension alléchante. Brigitte

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    1. Avec plaisir ! C'est un livre qui vaut vraiment le détour et un réel plaisir de lecture.

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  6. Ca aurait été dommage de ne pas l'ajouter au récapitulatif de l'activité, en effet ! tu donnes très envie..

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    1. C'est ce que je me suis dit à deux jours de la date limite initiale et j'ai apprécié pouvoir prendre le temps de rédiger mon retour de lecture.:)

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  7. Je l'ai lu il y a six ans, et beaucoup aimé cette ambiance et compati à la situation de ces policiers.

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    1. Aaah voilà, tu devais être une des blogueuses chez qui j'avais repéré ce livre. J'ai retrouvé ton billet. Je rajoute le lien. Je vois qu'il renvoie aussi à celui de Jérôme.

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  8. Je n'avais jamais rien lu sur le sujet et je trouve ça tellement horrible de savoir qu'on ait infligé de telles conditions de travail à des personnes. Le contexte a l'air très bien retransmis et le danger du manichéisme largement évité.

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    1. Aaah on est très loin de L'Arme fatale, 😆 et heureusement d'ailleurs que les choses ont évolué. C'est assez effarant en effet de réaliser les conditions de travail de ces premiers officiers noirs. Sans parler du regard que leur portait leur propre communauté. Oui, le contexte est vraiment bien rendu, on a l'impression d'y être et c'est d'autant plus crispant, mais très instructif également.

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  9. Un premier tome qui me tente de plus en plus. Merci du conseil.

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    1. Avec plaisir ! J'espère te lire à ce sujet prochainement.:)

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  10. Je l'avais noté pour le challenge mais comme il était emprunté je n'ai pas pu le lire. Par contre je ne sais pas qui en avait parlé dans la blogo, ni non plus qu'il y avait une suite...j'essaierai de le lire avant le prochain challenge :)

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    1. Cath L en avait fait un billet il y a 6 ans et la suite a paru entre-temps. Aah dommage qu'il ait été emprunté au moment où tu voulais le lire, on aurait pu faire une LC.;)

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  11. Oh trop bien qu'on est pas juge son livre hors contexte puisqu'il etait blanc...oui a connaitre didonc...leurs conditions n'etaient pas evident du tout...

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    1. Leurs conditions de travail étaient assez absurdes, c'est clair. Ils faisaient un peu office d'épouvantails de quartiers, sans vraiment plus de droits ou d'autorité. Oui, l'auteur a même été remercié pour cette trilogie et son traitement du sujet, c'est dire...

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  12. Tu réponds à la question que je me posais à propos de l'auteur (car son nom me laissait penser qu'il n'était pas noir...) et c'est réjouissant que son roman ait été bien accueilli "quand même". Tous les ingrédients sont réunis pour me plaire : enquêtes annexes, personnages complexes, tableau social réaliste... et humour malgré tout !

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    1. Tu as tout bien résumé ce qui en faisait un roman absolument savoureux, même si crispant par moment, mais ça, c'est le contexte historique qui veut ça. Oui, j'ai été rassurée par l'accueil de son roman. Je trouve qu'il le méritait amplement.

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  13. Oh la la c’est terriblement tentant cette enquêtre entremêlée au ségragationnisme et qui plus est, ne comporte aucun bémol.
    Ce sera l’occasion de découvrir cet auteur, c’est donc noté et souligné en te remerciant.

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    1. Enfin, il y avait un petit bémol tout de même, mais c'est un détail.😆 C'est juste le dénouement pour l'un des personnages. Tu comprendras de quoi je parle si tu as l'occasion de le lire, ce que j'espère fortement.:)

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  14. Je me rends compte que je n'ai moi non plus rien lu sur le sujet, et j'imagine combien ont été difficiles les débuts de ces policiers qui avaient peu de champs d'action. Et c'est intéressant de les voir malgré tout mener une enquête dans l'ombre.

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    1. C'est ça que j'ai trouvé assez fort de la part de l'auteur : réussir à imaginer et mettre en scène une enquête menée par des policiers noirs dans un contexte où ces derniers n'avaient pas le droit ni vraiment la possibilité d'en mener une ! Comme tu dis, leur champ d'action était vraiment très, très limité.

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  15. Une trilogie qui m'est tout à fait inconnue !

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Merci pour votre petit mot. Les commentaires sont modérés par défaut, mais j'y réponds toujours.