dimanche 5 novembre 2017

BERNARREKE - TOME 1


BERNARREKE

          1. L'ENFANCE

Une excellente surprise et une très belle découverte que cet album découvert au hasard des mes flâneries dans les rayons BD de ma bib' ! Le titre en lui-même n'avait rien de particulièrement attrayant mais son étrangeté m'avait tout de même interpellée. De même, la couverture et les dessins ne m'attiraient pas spécialement mais il y avait quelque chose de vivant dans les expressions et les attitudes des personnages qui me plaisaient tout de même, et j'ai d'ailleurs fini par apprécier et même trouver un certain charme à ce trait sans complaisance, animé d'un certain humour, porté par des couleurs pleines de peps.
Mais ce qui a véritablement attisé ma curiosité au départ, c'est que cet album était estampillé "fonds sourds" et que j'ai toujours eu une faiblesse et une attirance inexpliquées pour la thématique de la surdité.
Une rapide vérification et les premières pages me confirment que cette BD retrace l'enfance de l'auteur, Bernard Valgaeren, découvert sourd profond à l'âge de 4 ans. Et ce que j'ai trouvé encore plus intéressant, c'est que ça se déroule en Belgique, plus précisément dans la région flamande, dans les années 50. Une aubaine qui me permettrait d'en apprendre davantage sur cette partie de la Belgique que je n'ai pas eu l'occasion d'explorer vraiment en fiction (ou non-fiction d'ailleurs). Une impression d'avoir entre les mains une BD aussi exotique que L'Arabe du futur !

Bernarreke (Bernard en flamand) grandit à Gerolde, un petit village flamand, dans les années 50. C'est sa mère qui découvre sa surdité profonde vers l'âge de 4 ans. C'est son défi pour surmonter son handicap qu'il nous livre ici, aidé de sa mère, armée d'une volonté de fer pour lui donner les moyens d'affronter le monde et s'intégrer dans la société. On découvre ainsi, étape par étape, comment il acquière le langage, écrit et parlé, les difficultés qu'il traverse pour donner sens à la langue des entendants, et ses petites victoires aussi, ses progrès reposant largement sur la lecture maxillo-faciale.
J'ai trouvé cela tout bonnement captivant, fascinant, bouleversant, passionnant et admirable, très instructif et riche en enseignements. On ne se rend jamais assez compte des difficultés que cela représente pour un malentendant d'apprendre notre langage ou de découvrir notre univers à travers les mots. Quand on n'entend pas, comment réaliser par exemple qu'il n'existe pas qu'une langue des entendants - dans son cas à lui, le flamand - mais bien d'autres langues. À peine le flamand "acquis", quelle ne fut sa stupeur de découvrir qu'il devait apprendre aussi le français, mais qu'il existait également l'anglais ! Et si nous pouvons distinguer les sons, prononciations, intonations, comment un jeune sourd s'y prend-il pour démêler toutes ces subtilités ? Non, vraiment, très très intéressant cet aspect du récit, et d'autant plus prenant que l'auteur ne manque pas d'humour pour relater ses épreuves. Ça m'a véritablement fascinée de découvrir comment il a dû s'ouvrir et s'intégrer à notre monde petit à petit, les étapes progressives qui l'ont mené à la compréhension de notre système de communication.

Mais au-delà de la thématique de la surdité, ce que j'ai trouvé franchement jubilatoire dans cet album, c'est qu'il ressuscite ses souvenirs du petit village de son enfance, un village reculé et très catholique, où il met en scène des personnages hauts en couleur, nous offrant un tableau vivant des moeurs de l'époque en passant par les méthodes éducatives, le bigotisme ambiant, nous donnant également un aperçu des fêtes locales, évoquant les ravages de l'alcool sur une population désoeuvrée (sur son père notamment, mais ce dernier n'était qu'une victime parmi d'autres), balayant des sujets à la fois drôles et graves (oh ! l'évocation des slips tricotés à la main !!), tous ces souvenirs ayant marqué son enfance nous plongeant de plein pied dans une contrée de la Belgique d'un autre temps, très dépaysante, et qui m'a autant fait grincer des dents que sourire et même rire. Et puis bien sûr, il nous offre aussi son regard d'enfant sur le monde qui l'entoure, ses rêves et tracas d'enfant, ses amitiés et ses amours naissantes.

C'est un album vraiment surprenant par sa richesse thématique, avec un excellent sens de la mise en scène et une narration enthousiasmante et savoureuse qui mêle subtilement humour et tragédie. C'est le récit d'un destin fascinant, passionnant dans les détails, qui m'a véritablement emballée.

Une histoire touchante et drôle, la fin - la toute dernière page - m'a bouleversée, et je suis tellement conquise qu'à mon dernier saut à la bib', j'ai embarqué le tome 2 (sur l'adolescence de Bernarreke qui se déroule cette fois-ci en France, à Sanary-sur-mer, dans les années 60) dont la lecture me réjouit d'avance !

"En fait, je n'étais pas complètement sourd. J'étais ce qu'on appellera plus tard : "atteint d'une surdité très profonde". Le premier bruit que je pouvais entendre de dos était celui d'un marteau piqueur à 10 mètres."

L'auteur
Bernard Valgaeren est né à Ixelles (Belgique) en 1949. Il a vécu 10 ans dans un petit village flamand (Gelrode) puis s'est installé en 1960 à Sanary-sur-mer. Néerlandophone à l'origine, il a appris le français malgré une surdité profonde. Il est professeur de physique-chimie.
Il a écrit le scénario de Bernarreke avec Christophe Girard, en charge également du dessin et des couleurs.

10 commentaires:

  1. Ah là tu piques joliment ma curiosité! Les thématiques de surdité et de cécité d’ailleurs m’attirent aussi, ce monde autrement appréhendé et ressenti. Mon grand-père paternel était aveugle, j’ai été fascinée toute mon enfance par ses livres en braille. Pour revenir à l’auteur je trouve qu’il faut beaucoup de courage pour en être arrivé où il est aujourd’hui, à nous livrer des histoires, la sienne, qui plus est... c’est passionnant! Il y a vraiment de belles personnes aux talents multiples...
    GROS SMACKKKKKKKKKKKKKKKKKK mon amie

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    1. Oui, c'est vraiment admirable de voir qu'il a pu parfaitement s'intégrer à "notre" monde malgré son handicap. C'est vraiment une belle histoire qui évoque aussi une autre époque, et ça, j'ai particulièrement apprécié. J'ai terminé le tome 2 là, et je suis toujours aussi enthousiaste ! Encore une fois, la fin m'a beaucoup émue.
      Gros smaaaaaacks ma chère !^^ Et bon début de semaine !

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  2. Ha ha encore un découverte (pas de langue des signes, alors?)

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    1. Une très belle découverte ! Je viens de terminer le tome 2, dernier tome de la série que je classe sans hésiter en catégorie "incontournables et coups de coeur". Oui, rien que ça !^^
      Non, pas de langue des signes. Peut-être parce qu'ils étaient dans des petites villes où il n'y avait pas d'associations, écoles ou moyens pour les malentendants - ni d'autres sourds d'ailleurs. Il était le seul. Le sujet de la langue des signes n'a jamais été abordé en tout cas. Par ailleurs, sa mère a tenu à ce qu'il suive une scolarité "normale" et ils ont tous deux refusé le placement en institution spécialisée (davantage pour les enfants en difficulté ou en retard scolaire) quand cela leur était conseillé.

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  3. Je ne lis pas de Bd, tu le sais, mais je viens répondre à ta question. En anglais, pourquoi pas? Tu sais que je ne suis pas difficile !
    Bonne semaine.

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    1. Aaah, ça tombe bien parce que du coup, j'ai au moins un livre pour ton challenge, héhé !
      Bonne semaine.

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  4. Jamais entendu parler mais c'est une sacrée bonne pioche on dirait ! Je suis certain qu'il me plairait cet album.

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    1. Je suis convaincue que tu apprécierais. Que tu serais conquis même !^^

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  5. héhé, il semble que tu aies mis la main sur une pépite ! J'espère la trouver à ma bib' !

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    1. Ah oui, vraiment, pour moi, un indispensable dans toutes librairies et bibliothèques qui se respectent !

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