dimanche 14 avril 2024

ELMER


traduit de l'anglais (Philippines) par Sidonie van den Dries

Au départ, pour une première incursion littéraire aux Philippines et faute de choix véritable, j'avais opté pour Révolution aux confins d'Annette Hug. Cela aurait été l'occasion d'en apprendre davantage sur José Rizal dont je ne connaissais rien et l'aspect linguistique évoqué dans le résumé me semblait plutôt prometteur. Je n'étais pas si convaincue par cette trouvaille cela dit et le fait que l'autrice soit allemande me chiffonnait un peu car j'aurais préféré lire un roman d'un auteur ou d'une autrice originaire du pays. Le retour de lecture d'Ingannmic a confirmé mon intuition et m'a finalement dissuadée de m'y risquer.

Déterminée à trouver un auteur philippin susceptible de me plaire, j'ai entamé une recherche plus poussée qui m'a amenée à la découverte de ce livre de Gerry Alanguilan. Et là, bingo ! Une BD ? Parfait ! Les BD des contrées lointaines sont encore plus rares que les romans. C'est pourtant un excellent medium pour s'immerger dans la culture d'un pays. Encore mieux ! Cette BD ne parlait pas spécifiquement des Philippines (historique ou vie quotidienne, etc), mais se présentait comme une histoire originale sortie tout droit de l'imagination de l'auteur. Je trouve cela tout aussi intéressant de voir ce qu'un auteur d'un autre pays a à raconter, autre que sur son pays. Quel est son imaginaire ? Quels sont les thèmes qui l'animent ? Cela pouvant d'ailleurs être relié à son pays d'un point de vue métaphorique.

J'ai été très touchée par la préface de l'auteur :
"Merci d'avoir pris cette bande dessinée. Que vous l'ayez achetée ou empruntée à quelqu'un, merci de me donner l'opportunité de partager mes histoires. C'est ce que j'ai toujours voulu faire, depuis que je suis enfant. Quand j'ai tenu un crayon pour la première fois, cela signifiait plus que simplement dessiner. J'allais pouvoir raconter des histoires au monde entier."

Bon, et l'histoire alors ? J'y viens !
Rien ne va dans la vie de Jake Gallo. Écrivain en panne d'inspiration, il n'arrive pas non plus à trouver de petits boulots alimentaires. Et comme si cela n'était pas déjà assez, son père vient de faire une crise cardiaque. Il se rend alors chez ses parents, l'occasion de retrouvailles avec son frère devenu star de cinéma et de sa soeur dont il apprend avec indignation ses projets de mariage avec... un humain ! Quelle idée saugrenue ! Car les Gallo sont une famille de gallinacés. Tout comme les autres poules et coqs du monde entier, ils sont subitement devenus conscients en 1979 et ont été assimilés humains depuis, cohabitant en bonne entente avec les hommes depuis trente-cinq ans, ce qui n'empêche les hostilités raciales de part et d'autre.
Après le décès de son père, Jake décide de rester auprès de sa mère, affaiblie par cette épreuve. Il tombe alors sur un cahier et va découvrir l'histoire de sa famille et de son père, Elmer, qui fait partie de la génération des coqs qui ont dû apprendre à cohabiter avec les hommes.

J'ai beaucoup aimé cette histoire plutôt surprenante et inattendue qui commence de façon assez explosive, Jake étant d'un tempérament colérique, et qui, au fil des pages, gagne en profondeur et sensibilité, déployant avec une "candeur enthousiasmante" ce monde improbable où cohabitent hommes et gallinacées au comportement parfaitement humain et au fort tempérament, dont la génération actuelle ne connaît rien de leur passé en tant que poulets d'élevage. Cela donne lieu à des moments assez drôles tout le long malgré le tragique de situation qui ne sera pas sans nous rappeler la réalité de notre propre monde, en particulier dans tout ce qui touche aux discriminations raciales.

Graphiquement, je n'étais pas trop fan de la façon dont l'auteur dessinait les hommes et les femmes, un côté un peu vieux comics américains, en revanche, j'ai trouvé sa représentation des coqs et poules assimilés humains plutôt convaincante. Ça fonctionnait bien en tout cas d'un point de vue scénaristique. Un petit warning tout de même pour quelques scènes qui pourraient s'avérer dérangeantes suivant les sensibilités propres à chacun.

Une excellente pioche côté Philippines, chez les éditions Ça et là. Je suis d'ailleurs allée voir sur leur site les BD d'autres pays d'Asie du Sud-est qu'ils auraient à leur catalogue, et ils ont une BD indonésienne que j'ai lue il y a quelque temps, Retour à Bandung de Tita Larasati, que je recommande aussi.

Lu dans le cadre des

L'auteur
Né en 1968 à San Pablo City (Philippines), Gerry Alanguilan est décédé en 2019. En 1990, il obtient son diplôme d'architecte, mais il se consacre rapidement à la bande dessinée. À partir de 1996, il commence à travailler régulièrement pour des éditeurs américains et se fait un nom en tant qu'encreur de nombreuses séries. En parallèle, il a auto-édité aux Philippines plusieurs bandes dessinées, notamment Elmer qui a été nominé aux Eisner Awards 2011 et a remporté le Prix Asie de la Critique ACBD ainsi que le Prix Ouest France - Quai des Bulles 2011.

26 commentaires:

  1. A ma grande surprise ma bibliothèque l'a ! le point de départ est vraiment original.

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    1. Oui, c'est assez inattendu et déroutant au départ, mais ça fonctionne bien.:)

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  2. Voilà e l'original! Mais je ne craque pas t repart en mer... (c'est fou les livres qui se jettent sur moi pour être lus...)

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    1. Ahaha si tu parles des livres maritimes, je vis exactement la même chose. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant de tentations.^^

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  3. Je serais très curieuse de découvrir cette BD aux personnages plus qu'atypiques !

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    1. Oui, ce n'est pas tous les jours qu'on lit des histoires de coqs et de poules.^^

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  4. ça semble spécial, tout de même !

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    1. Je ne nie pas que ça l'est un peu.^^ J'étais moi-même assez perplexe au début, mais finalement je suis rentrée très vite dans l'intrigue.

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  5. Une bd des Philippines ! Je n'aurais jamais pensé à chercher ce genre de livre, c'est ça qui rend ces activités communes intéressantes: on a des intérêts différents et ça permet de découvrir des choses.
    N'empêche, une histoire de poulets assimilés aux humains, ça va peut-être un peu trop loin pour mes goûts ;-)

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    1. Figure-toi que j'ai une autre BD des Philippines en stock.^^ "Elmer" est un peu déroutant au début, mais l'intrigue se tient bien et ça reste somme toute une histoire assez universelle.

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  6. Comme toi je préfère, pour les mois thématiques, lire des livres (fiction ou non fiction) écrits par des auteurs originaires des pays en question. En parcourant le catalogue de ma BM, je n'ai rien trouvé non plus en provenance des Philippines, dommage. Je tenterai peut-être une BD s'il y en a.

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    1. Oui, on n'est pas très gâtés côté production littéraire philippine traduite en France, c'est dommage. Je fouinerai peut-être aussi côté livres en anglais.

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  7. Bravo pour cette belle trouvaille ! Je ne suis pas fan non plus du graphisme mais l'histoire est originale. Elle me rappelle un peu, une nouvelle de Ted Chiang qui met en scène une race de perroquets portoricains (même si l'intrigue n'a rien à voir avec celle-ci).

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    1. Aah tu me rappelles que je dois lire cet auteur aussi ! En plus ton évocation de perroquets portoricains m'intrigue énormément.^^

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  8. Et bin juste philippine cela donne envie de connaitre...une chouette BD en plus

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    1. Oui, elle vaut vraiment le détour et c'est une occasion en or de lire un auteur philippin.

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  9. Tu vas chercher des auteurs dans le monde entier, toi !

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  10. Oh je pense que ça me plairait beaucoup! Les poules et poulets sont souvent présentés comme stupides (bon, y'a du vrai) et c'est plutôt amusant que ce soit cette espèce animale qui ait été assimilée humaine. Malheureusement, ma bib n'a qu'Elmer l'éléphant en stock. Il faudra que je trouve cet album par d'autres moyens !

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    1. Ahaha Elmer l'éléphant, c'est en effet une toute autre ambiance.:) Oui, c'est assez étonnant le choix de poules et de coqs dans cette histoire, surtout qu'au premier abord, on les imagine assez mal comment l'auteur pourrait les rendre crédibles dans son intrigue, mais il s'en est magistralement sorti.

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  11. Un auteur philippin ! la classe, bravo :)

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    1. J'avoue que je suis très contente de cette trouvaille.:)

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  12. J’ai lu ton billet avec beaucoup d’intérêt, tant je trouve cette idée de cohabitation originale !! Je vais vérifier la disponibilité de la BD à la bibliothèque (leur site ne marche pas actuellement - c’est sûrement un message caché pour me signaler que j’en ai trop à lire)

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    1. Ahaha, moi aussi je me trouve toute sorte de signes des fois si mes tentatives de caser des lectures imprévues échouent. En tout cas, celle-ci vaut le détour. N'hésite pas si ta bibli l'a.;)

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  13. Ca peut effectivement sortir de "l'ordinaire"... mais peut-être trop pour trouver cette BD en bib sur la côte bretonne !

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    1. J'avoue... J'ai dû moi-même le faire sortir de la réserve.^^

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