LES ÉTOILES LES PLUS FILANTES
J'avais tellement aimé Là où les chiens aboient par la queue, le premier roman de l'auteure, Estelle-Sarah Bulle, que j'avais écrit à son sujet :
"Une chose est sûre, je me procure le prochain roman de l'auteure sans hésiter dès qu'il paraît, et ce, quel qu'en soit le sujet !"
Je n'aurais jamais imaginé que celui-ci m'emmènerait au Brésil, mais ça tombait bien pour mon book trip brésilien !
Estelle-Sarah Bulle raconte ici le tournage du film "Orfeu Negro", un film français de 1958 tourné au Brésil et revisitant le mythe d'Orphée et Eurydice transposé dans les favelas de Rio, pendant le Carnaval. Une de ses particularités, c'est que le casting était entièrement composé d'acteurs noirs, majoritairement amateurs. Rien qui le prédisposait à la Palme d'or au Festival de Cannes, et pourtant, il l'a obtenue en 1959, ainsi que l'Oscar du meilleur film étranger en 1960.
Ce film m'a marquée d'une certaine façon, car j'ai le vague souvenir d'extraits vus assez jeune, en famille, lors d'une rediffusion de films cultes sans doute, et il m'en est resté l'impression de scènes troublantes, glauques, tragiques, effrayantes même, sans rien comprendre du contexte de l'histoire. Quelle ne fut donc ma surprise de découvrir que ce film avait été pensé comme un ensemble très vivace, joyeux, festif, musical ! Avec en fond, les favelas et leurs habitants fantasmés comme un univers défavorisé mais rayonnant de joie de vivre, de poésie, de romantisme et d'authenticité toute brésilienne. Un film populaire et profond à la fois, en somme.
Très peu de documentation sur ce film existant, l'auteure a en réalité imaginé l'histoire du tournage à partir de quelques faits réels, en changeant les noms mais en gardant l'essence des personnages, et en brodant leurs histoires personnelles, prenant surtout prétexte de ce film pour raconter l'esprit d'une époque, au Brésil, avec entre autres l'émergence de la bossa nova, ancré dans un contexte plus large, celui de la guerre froide et des droits civiques aux États-Unis. Le dernier chapitre consacré au Festival de Cannes est aussi assez épique. Très politique, tout ça !
S'attachant au processus de création artistique autour de ce film, avec ses difficultés financières et l'extraordinaire aventure humaine qu'elle représente, c'est avant tout une histoire collective que nous raconte ici l'auteure, mais les histoires individuelles prennent forme toute de même, avec toute une galerie de personnages auxquels on finit par s'attacher et dont la diversité apporte beaucoup de nuances et de corps à l'intrigue. Elle a su leur donner vie et épaisseur de manière convaincante, à travers leurs aspirations et leurs espoirs, reconstituant les conditions de vie difficiles dans les favelas, mettant en lumière le racisme envers les Noirs à l'époque, confrontant la réalité des favelas et ce qui était considéré comme le vrai Rio par la riche bourgeoisie blanche.
C'est une histoire douce amère, sans aspérités et aussi envoûtante qu'une bossa nova. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé toute la partie musicale, très instructive, qui m'a permis de noter quelques grands noms de musiciens brésiliens de l'époque dont je ne connaissais que João Gilberto. L'intrigue est très bien menée, plus riche qu'on ne s'y attendrait en thématiques, et j'ai beaucoup aimé la narration, très fluide et agréable. Encore une fois, Estelle-Sarah Bulle se révèle très efficace en toute simplicité.
Malgré mon attrait pour le Brésil, ce n'était pas vraiment le genre d'histoires susceptibles de me plaire, mais elle a réussi à m'embarquer dans son obsession pour ce film. Je l'ai d'ailleurs (re)vu en cours de lecture. C'est un film simple dont il se dégage beaucoup de naïveté mais aussi de charme, et dont on comprend, pour l'époque, qu'il ait été une sorte de véritable phénomène artistique. Et ses deux dernières minutes sont absolument magnifiques. Ces trois enfants 😍:
Extraits :
"Une population qui avait été majoritairement noire jusqu'au siècle dernier, que l'État avait volontairement blanchie par sa politique d'immigration favorable aux Italiens, aux Polonais, aux Allemands... Pour purifier la race, comme le disait la vieille élite."
"La "démocratie raciale", prétexte à un métissage organisé dans un sens unique : toujours plus pâle ; et toujours s'éloigner du "primitif"."
"Sa question, "Qu'attendez-vous du cinéma français ?", était celle, suspicieuse, d'un douanier campé aux frontières de l'imagination."
Total à date => 30 points (arrivée à São Luis)
Vraiment pile poil dans ton road trip! Il me semble avoir vu ce film il y a longtemps, mais, heu, en noir et blanc?
RépondreSupprimerJ'avais un souvenir de noir et blanc moi aussi, mais c'est bien en couleur. Les scènes qui m'avaient marquée, et probablement les seules que j'ai vues (car en (re)voyant le film, le reste ne me disait rien), sont vers la fin, dans un décor assez sombre, d'où mon impression de noir et blanc peut-être.
SupprimerHypothèse: vu à la télé jadis... sur un poste en N&B ?
SupprimerEn ce qui me concerne, c'était une TV couleur. Je n'ai pas connu les postes en noir et blanc.;)
SupprimerJe me souviens avoir beaucoup aimé le film, grâce ou à cause de la musique. Je l'ai revu il y a une dizaine d'années. Par contre, je ne sais pas si le roman me plairait.
RépondreSupprimerMalgré le fait que j'apprécie énormément l'auteure et que l'histoire se déroule au Brésil, j'avoue que je me suis longuement posé la question aussi, d'autant plus que je gardais un vague souvenir assez négatif du film, contrairement à toi.^^ Je ne regrette vraiment pas le voyage qui m'a, en plus, permis de (re)découvrir le film sous un angle nettement plus favorable, mais je ne saurais affirmer que tout le monde y trouverait son compte.;)
SupprimerJe ne connais pas du tout cette romancière. Tu sembles beaucoup aimé, je vais regarder ça...
RépondreSupprimerOui, je ne l'ai pas précisé dans mon billet, mais il va sans dire que je me procurerai le prochain roman de l'auteure sans hésiter et ce, quel qu'en soit le sujet !^^
SupprimerJe ne connais ni la romancière, ni le film dont il est question... De l'inculture à combler !
RépondreSupprimerJ'ai (re)vu le film sur Youtube en cours de lecture, et pour ceux dont le film n'aura pas marqué leur jeunesse, je recommanderais de faire pareil, c'est-à-dire lire ce roman en premier et le compléter par le film.;)
SupprimerJe fais partie de la team Géraldine : je ne connais ni le roman ni le film
RépondreSupprimerOn se découvre toujours des lacunes culturelles à combler, du coup cela me fait plaisir quand je vois que j'ai une petite longueur d'avance dans certains domaines, haha !
SupprimerOh tout a connaitre alors didonc...oooh....merci pour ces belles idees...
RépondreSupprimerAvec plaisir ! ;)
SupprimerJe ne connais pas, mais je ne suis pas très attiré...
RépondreSupprimerJe ne suis pas convaincue non plus que ce soit vraiment ton créneau.;)
SupprimerJe ne connais rien mais je trouve ça très original. Et j'aime beaucoup le titre !
RépondreSupprimerOui, son projet est assez atypique, mais son aboutissement une totale réussite.
SupprimerIl faut que je lis Là où les chiens aboient par la queue, qui est sur ma pile depuis bien longtemps...
RépondreSupprimerIl est déjà dans ta PAL, c'est une première étape.^^
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